Définir la surprise, qui est un terme large, comme la nécessité de "frapper le public par une expérience nouvelle/inattendue" et considérer que toutes les oeuvres ont le devoir de l'être, impose une norme trop restrictive (au niveau artistique) et subjective. Un critique qui a vu/lu 5 000 films/livres/bd sera beaucoup moins enclin à la "surprise" qu'un autre qui a regardé que 5 films. Le critique expérimenté ne sera même plus jamais prédisposé à la "surprise", ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut plus rien apprécier de nouveau ou qu'il ait perdu sa capacité de jugement "objective", c'est même possible qu'une oeuvre médiocre lui procure de la surprise (un plaisir coupable). C'est pour ça que je dis qu'il est plus pertinent de regarder les qualités intrinsèques d'une oeuvre, de voir si elle réussit ce qu'elle entreprend.
Pour les personnages, je critique davantage les situations créées que leur profondeur psychologique. C'est "facile" d'écrire un personnage intelligent et torturé qui réfléchit beaucoup avec de longues phrases d'introspection, par contre, bien l'utiliser, c'est plus difficile (dernier arc de HxH). Tu peux créer des scènes intéressantes, qui ne sont pas clichées, avec des personnages simples. Fondamentalement, ce n'est pas important que les personnages aient des motivations cachées, qu'ils aient un passé sombre ou non. Il faut regarder ce qui est fait, les scènes créées et les relations entre les personnages, qu'est-ce qui en est fait. C'est précisément ce que je critique dans Horion. Approfondir l'analyse d'une relation frère-sœur ne diminue pas sa nature conventionnelle. Les relations fraternelles ne sont jamais binaire, oui. Tout le monde comprend (ces relations triviales peuvent trouver écho auprès d'un large éventail de lecteurs) mais j'ai envie de dire : c'est tout ? t'es vraiment entrain de nous développer et raconter ça ? (encore plus dans les situations clichées mises en place).
Je suis d'accord sur ça, mais est-ce qu'il y a pas du biais cognitif là-dedans ? Pour les raisons que j'ai listé au-dessus, mais aussi par le fait qu'on veut y voir derrière un auteur qui cherche à tout prix donner de la puissance à ses aphorismes. Je les prends vraiment comme des phrases que les personnages peuvent sortir. Et puis, si ça amène une petite pensée, parfois triviale, parfois plus profonde, je ne vois pas beaucoup le souci. Tant que les phrases collent bien au contexte, c'est efficace je pense, c'est pas comme si dans des moments totalement incongrues les aphorismes étaient étalées pour se donner un air, ça reste quand même justifié par les scènes qui les accompagnent.
« Contre ceux qui blâment la brièveté ; Quelque chose qui est dit brièvement peut être le fruit et le résultat de quelque chose de longuement médité ; mais le lecteur qui n'y a pas autrement réfléchi voit quelque chose d'embryonnaire dans tout ce qui est dit brièvement. » (Friedrich Nietzsche)
Je ne perçois pas de biais cognitif dans les critiques formulées à propos de cet aspect du manga. Même la plus grande mauvaise foi ne saurait altérer la valeur d'une phrase bien construite ou d'une plume littéraire d'exception. Outre le style et la formulation, c'est juste maladroit. Une maladresse propre aux débutants/amateurs, je pense. Et tout peut porter à réflexion, même une phrase de 5 mots, je ne critique pas la brièveté. Il y a un problème d'harmonie globale qui donne une impression parodique/humoristique. Le film Cyrano est bien écrit, dans un style théâtral et littéraire, mais même si tu prends la meilleure phrase du script et que tu la colles dans le script d'un mauvais film, ça ne marchera pas autant. Il y aurait un côté nanardesque. Le film Cyrano mise sur l'écriture et met en avant son style littéraire : ça marche car c'est bien écrit (on ne peut pas en dire autant du récent film Les Trois Mousquetaires). Horion, alors que le récit se prend très au sérieux et essaie de mettre en avant son écriture, est plus Kaamelott (c'est pas mauvais mais c'est de l'humour) que Cyrano. C'est comme quand un Youtubeur se met à faire de la musique en se prenant très au sérieux, on grince des dents.
Quand je parlais de sévérité, c'était pour soutenir le propos suivant : "quand à côté on a des "Yes Men" qui font tout pour plaire au jeune public et cocher toutes les cases du divertissement de masse. Aienkei a au moins le mérite de s'affranchir de ça et d'avoir une ligne philosophique solide propre à lui.". Moi j'ai aucun problème à ce qu'on soit extrêmement exigeant voire salé, mais il ne faut annihiler toute nuance et attribuer certains mérites tout de même. Ensuite, faut pas non plus tomber dans le travers de s'ériger très haut en voyant les autres très bas et médiocres (je parle en général, ça s'applique à moi aussi), car ça sonne très Nietzschéen mais ça sonne surtout très bourgeois/aristocrate. Les goûts, les valeurs tout ça, ça reste de la construction socio-historique, faut prendre du recul sur ça.
Horion est un manga, un shonen de fantasy, c'est aussi un divertissement de masse. Le jeune public est enclin à aimer les mangas. Reste réaliste, la survie du divertissement de qualité ne repose pas sur ça. On est plus dans les années 80, la culture populaire a déjà gagné. Tolkien et Tezuka ont gagné.