Ça a commencé comme ça. Je passai l’aspirateur dans mon salon, car je suis un homme moderne, et l’idée m’est tombée dessus… Je m’intéressai de loin aux cryptos, comprenant vaguement la puissance du truc tout en estimant qu’il n’y avait pas de marché suffisant à moyen terme, ce qui rendait l’entreprise très spéculative.
Et pourquoi pas ! Beaucoup d’argent à gagner et beaucoup d’argent à perdre mais une activité à part entière qui restait loin de mes préoccupations.
Et pourtant… Je suis pénaliste et un beau jour je passerai les diplômes de criminologie (qui ne font pas particulièrement rêver). Le marché que je ne voyais pas venir, belle ironie, c’est celui que j’étudie au quotidien !
Je sais… vous levez déjà les yeux au ciel. Ça m’arrive aussi quand je vois les rapprochements neuneus qui sont faits entre Bitcoin et criminalité organisée… mais continuez à lire, je pense que ma position est originale.
Alors je vais pas en faire des tonnes mais j’écris depuis maintenant un an sur ce forum pour 100 pages de pavé environ, un beau petit mur. Depuis le Volume 1 j’invite les kheys à partager leur expertise et tout ce temps j’avais en tête de coucher sur le papier les raisons précises de ma présence sur le marché, les voici:
6 Réflexions sur les Cryptos Vol.8, Blanchiment d’argent: Je call Bitconnect, ça tourne mal [EXPLICATIONS]
Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action. Bergson
J’ai fait mon maximum mais je ne peux pas donner toutes les sources, tout simplement parce que certaines de ces infos viennent de discussions informelles ou de documents dont j’ai perdu la trace. Sur certains points, mesdames, il va falloir me faire confiance.
Il n’y aura qu’une seule dédi sur ce topic et elle sera pour celui qui m’a donné envie d’écrire pour le fofo, il est moins présent ces temps-ci mais c’est qu’une question de temps avant que réapparaisse MasterDreams.
Alors pour faire simple, ce qui m’a poussé à rentrer sur le marché c’est de pouvoir surfer sur la vague du cryptoblanchiment. Je n’ai pas découvert la Lune non plus mais les lignes qui vont suivre argumentent et surtout structurent mon positionnement sur le marché. C’est l’idée qui me rend serein devant les crises et confiant sur le long terme.
Au passage je me demande bien comment doit se sentir un investisseur gangé qui se dit juste que, vaguement, « c’est le futur »…
Si je couche tout ça par écrit c’est aussi pour n’induire personne en erreur. Ceux qui me lisent sont, malgré eux et malgré moi, influencés. Grâce à ce texte ils peuvent comprendre mon biais bullish et en juger la pertinence.
Alors on va être clairs il n’y a AUCUNE garantie que ça ce passe comme ça. Ici, on spécule. Moi je spécule sur ça.
Peut-être commencer, comme pour toute bonne dissertation, par circonscrire mon sujet: Les lignes qui suivent concernent quasi-exclusivement le marché noir. Noir noir noir… Noir de café. Je vais souvent utiliser le trafic de drogue comme référence car c’est une économie en soit mais je pourrais tout autant me référer au marché des armes de contrebande, du braconnage, du trafic d’organes ou encore celui de la corruption politique. Je laisse de côté tout ce qui est marché « gris », celui des détaillants presque toujours honnêtes mais qui ont horreur qu’on mette le nez dans leur affaires…
Il se trouve que les cryptos sont très peu adaptées à un paradigme d’État mais très adaptées à un paradigme mafieux. Tout mon propos ici sera d’aborder l’impact de la crypto sur les transactions criminelles de leur naissance à leur finalité, c’est-à-dire du deal au blanchiment ; puis la réciproque.
1) Comment le monde du crime préfigure l’ensemble de la société
On présente Émile Durkheim, à raison pour une fois, comme le père de la sociologie et c’est celui qui le premier liera les conduites criminelles à la structure socioculturelle. Il tire de ses recherches et de sa méthodologie un paradoxe tout simple et pourtant fondateur: Le crime est, en tant que phénomène sociologique, une chose tout-à-fait normale.
Le crime ne s'observe pas seulement dans la plupart des sociétés de telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés de tous les types. Il n'en est pas où il n'existe une criminalité. Elle change de forme, les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes ; mais, partout et toujours, il y a eu des hommes qui se conduisaient de manière à attirer sur eux la répression pénale.
In Emile Durkheim, « Le crime, phénomène normal » (1894)
Rien ne permet d’affirmer que le crime recule à mesure que la société « s’élève». Ainsi le crime serait un phénomène certes regrettable mais aussi « partie intégrante de toute société saine » bien que marginal au sens le plus strict: à la marge.
Mais Durkheim va plus loin.
Il constate que c'est cette transgression qui va permettre au groupe de se retrouver et s’organiser autour de valeurs communes, elles-mêmes hiérarchisées, pour in fine organiser la réponse pénale. Ainsi le crime serait un phénomène certes regrettable mais aussi structurant.
Mais Durkheim va ENCORE plus loin.
Non seulement le criminel implique que la voie reste ouverte aux changements nécessaires, mais encore, dans certains cas, il prépare directement ces changements. Non seulement, là où il existe, les sentiments collectifs sont dans l'état de malléabilité nécessaire pour prendre une forme nouvelle, mais encore il contribue parfois à prédéterminer la forme qu'ils prendront. Que de fois, en effet, il n'est qu'une anticipation de la morale à venir, un acheminement vers ce qui sera !
Ibid.
Il propose en négatif une « société de saints » dans laquelle tout serait figé tant du point de vue de la morale, du droit mais aussi des arts et de la science et cite l’exemple de Socrate pour illustrer le rôle « positif » du délinquant vis-à-vis de sa Cité. Ainsi le crime serait un phénomène certes regrettable mais aussi nécessaire.
La sagesse de Durkheim est une sagesse difficile et donc de grande valeur, elle nous amène à penser au-delà de notre répulsion pour le voyou afin de le considérer comme un « agent régulier de la vie sociale ».
Pas la peine de chercher bien loin un domaine dans lequel les mafias devraient servir d’exemple au reste de la société: l’aspiration à l’anonymat et à la confidentialité des échanges, d’informations comme de fonds, sont pour des raisons évidentes parmi les préoccupations majeures du criminel… Et ce devrait être le cas pour chacun d’entre nous!
Dans un monde où il n’y a pas de repas gratuit, les factures sont des archives complètes de nos vies. Que la banque conserve des archives détaillées de nos repas au restaurant, de nos déplacement, de nos abonnements et de toutes nos dépenses est une forme de viol de notre intimité. Mais rien ne justifie que nous perdions pour autant les services numériques de la monnaie tels que l’histoire de nos transactions, tant qu’il est pour nous seuls. La confidentialité des transactions est indissociable de la vie privée. Elle était totale et naturelle du temps des espèces et finalement assez grande du temps du chèque. Cela n’a pas empêché le monde libre de survivre alors à bien des menaces, et l’économie de connaitre une croissance plus forte qu’aujourd’hui !
In Jacques Favier, Adil Takkal Bataille Bitcoin, La monnaie acéphale. CNRS éditions p.73
Les criminels peuvent jouer le rôle d’Avant-garde et ce n’est pas par amour du paradoxe mais parce qu’ils portent sur le monde le regard du cosmonaute:
Si une structure agit au sein du monde tel qu’il est, et non pas tel qu’il est souhaité ou décrit, c’est bien les mafias. Leur angle de vue, lointain et lucide à la fois, scrute la globalisation, reste à l’affût de nouveaux espaces, s’intègre dans notre vie de tous les jours. Pragmatique, le regard que porte un criminel sur le monde rassemble, comme le fait remarquer depuis longtemps Bernard Leroy à celui de l’astronaute : une terre sans frontières, si ce n’est celle des massifs, une mer sans fin, dont l’immensité ne se compare qu’aux lacunes des règles et des lois qui la concernent, des gorges, des vallées qui ont de tout telles servi d’interconnexion, de lieu de passage.
In Michel Koutouzis « La guerre anti-blanchiment n’aura pas lieu », Chimères N.91 Changement dans les politiques des drogues ? Érés éditions, 2017, p.97
Le criminel ne voit pas de frontières mais constate, recherche même, les phénomènes pour les exploiter et parvenir à son unique but: le profit. Il faut s’y faire, le criminel est quelqu’un qui joue le game mieux que vous parce qu’il lui est nécessaire de le faire.
C’est un grand classique des discussions de salon, à quel point les adoptions technologiques ont été au moins catalysées par les activités « marginales ». Retenons l’importance du porno dans le développement des réseaux de distribution et de communication, de la VHS de vidéoclub aux internets d’aujourd’hui. Le criminologue Gabriel Tarde parlait de la société comme d’un « échange de reflets », de ce point de vue le trafiquant est le « miroir aussi parfait que déformant à la fois de ce que nous sommes et de ce que nous produisons. » (Koutouzis, qui a décidément le sens de la formule).
Alors j’entends souvent dire que Bitcoin « est la monnaie des trafiquants de drogue » et que c’est ce qui la condamne… Je pense l’exact opposé: Bitcoin n’a jamais et ne sera jamais fondamentalement une monnaie de criminels mais si tel est le cas alors c’est un argument puissant en faveur d’une adoption prochaine.