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Chapitre 31 (n°387) : The weapon’s recoil
Vendredi 10 juillet 2026, Iowa Speedway, Newton (IA)
Tout le monde ne parle que de ça dans l’Iowa : c’est l’histoire d’un autrichien qui arrive dans un championnat américain, qui s’en sert comme d’un tremplin et qui repart comme un voleur après avoir raflé le titre pour sa seule saison dans la discipline. Ma destinée est toute tracée pour les médias, qui ont bien vu mon apparition à Spielberg le week-end dernier ; ma complicité avec les trois pilotes du podium, ma blague en zone mixte, mes discussions dans le paddock avec des types portant des polos jaunes, blancs, rouges ou gris. Tout le monde en est convaincu ; je ne suis que de passage ici et ma carrière outre-Atlantique prendra fin dans deux mois à Laguna Seca.
Je ne peux pas nier que je me suis mis volontairement dans cette situation, pour autant il y a un réel besoin de recadrer les choses : j’ai boudé la F1 pendant onze manches avant de pointer mon nez dans un paddock et il était normal pour un passionné comme moi d’être heureux de revenir auprès de gens que j’ai côtoyé pendant presque six ans. Si mon retour en F1 semble évident de l’extérieur, il reste encore beaucoup de choses à régler et il n’existe à l’heure actuelle aucune certitude. Ce que j’ai vu à Spielberg m’a un peu refroidi ; le plan d’Audi ne m’a pas convaincu, le projet de Haas non plus, les garanties de Renault encore moins. Je pensais repartir d’Autriche avec quelques indications mais, en réalité, je suis perdu. Fait amusant toutefois, mon trashtalking sur China Racing à l’antenne n’est pas passé inaperçu sur les réseaux sociaux ; mes phrases ont rapidement été traduites en anglais et ont fait le buzz jusqu’à arriver aux oreilles des dirigeants de l’écurie. Ceux-ci m’ont contacté après ça, non pas pour m’informer d’une baisse de mon crédit social mais pour me faire une offre ; un contrat et les clés du camion. L’audace de ces gars m’a épaté, pour tout vous dire, même si j’ai bien évidemment refusé l’offre dans la seconde.
Avant ce week-end dans l’Iowa, j’ai une première mission : assurer aux gars que je suis à cent pourcents concentré dans ce que je fais actuellement plutôt que dans ce que je vais faire l’an prochain. Ce vendredi, entre les deux premières séances d’essais du week-end, j’ai donc convié toute l’équipe pour une petite réunion. Bobby était là également et, devant tous ses employés, j’ai affirmé une chose que j’ai largement eu le temps d’apprendre en plus vingt ans de sport automobile : quand vous baissez la visière, vous vous assurez toujours de laisser vos pensées en-dehors du casque. Une fois en piste, je ne penserai certainement pas à ma coupe de cheveux, à l’apprentissage du calcul à mes enfants ou à mon contrat futur, c’est une certitude.
Néanmoins, avant d’embarquer à bord de mon bolide pourpre, je profite avant de me faire avoir par le décalage horaire ; la nuit va tomber prochainement sur l’Autriche et je n’allais pas traverser ce 10 juillet sans appeler Karl. Trente ans, putain ce qu’il est vieux. Voir des gars comme Nyck de Vries ou Luca Ghiotto prendre trente ans l’an dernier ne m’avait pas spécialement marqué, probablement parce que je ne les connaissais pas il y a dix ans, mais alors le fait que mon frère spirituel soit passé de l’autre côté de la barrière et rejoigne le club des trentenaires...Petit choc, malgré tout.
Samedi 11 juillet 2026, Iowa Speedway, Newton (IA)
De retour sur anneau. Après les 500 Miles et la course de Fort Worth, nous voici donc sur l’Iowa Speedway, composé de deux virages en banking assez relevés - un peu plus que ceux du Speedway - et, cette fois, particularité étonnante : le banking des virages est dit “progressif”, c’est à dire que la piste n’est pas plate en virages ; elle est incurvée de sorte à former un angle de 12° avec l’horizontale à l’intérieur et de 14° à l’extérieur. Pour ceux qui visualisent ça mieux avec des maths, dites-vous que la surface de la piste ressemble à un morceau de fonction exponentielle partant de l’intérieur et allant jusqu’aux murs situés à l’extérieur. Cela donne une terrible impression de ne pas avoir de grip ; cette chose peut vous échapper des mains en un rien de temps, croyez-moi. C’est en tout cas le ressenti que j’ai eu lors des deux séances d’essais disputées hier et aujourd’hui et, à l’amorce de cette qualification, je ne suis pas très confiant sur mes chances de faire oublier mes qualifs ratées à Indianapolis et à Fort Worth.
Je serai, comme le veut le règlement, le dernier homme à passer pour la qualification ; avant moi, vingt-trois mecs vont se tirer la bourre pour la pole provisoire, qui aura certainement des allures de pole définitive une fois que mon dauphin actuel Josef Newgarden sera passé.
Au moment de débarquer sur le tarmac pour mes deux tours d’échauffement pré-qualif, les classements provisoires ne sont absolument pas surprenants : Herta, Newgarden, VeeKay, Milligan et Stevenson composent le top 5, Rossi est sixième, Askew dixième : il va falloir que j’aille au charbon pour ne pas prendre une déculottée par mes adversaires ce week-end.
Le pilotage de ces monoplaces d’Indycar ne me pose aucun problème, en revanche mon apprentissage des ovales se révèle être très laborieux : seizième, c’est ma meilleure référence lors des deux séances d’essais et ce n’est pas bon du tout. J’ai envie de faire mieux mais quelque chose dans mon pilotage rend difficile cette appréhension des ovales et je ne suis pas le seul issu des championnats européens à connaître cette difficulté ; en près de six ans ici, Lance Stroll n’a jamais su s’y adapter tandis que Sérgio fait état des mêmes problèmes que moi même si l’échelle est réduite pour lui visiblement. Il y a une sorte de blocage qui s’est créé et ce n’est pas idéal. Pas idéal ou plutôt “complètement catastrophique”. C’est plutôt la deuxième expression que j’utiliserai pour désigner ma qualification du jour. Plus les qualifs passent, pire c’est, en tout cas c’est le ressenti que j’ai : je partirai demain de la vingt-et-unième place. On peut appeler ça une honte, oui.
Grille de départ :
Dimanche 12 juillet 2026, Iowa Speedway, Newton (IA)
Il règne une ambiance footballistique dans le monde aujourd’hui, bien que la ferveur n’a pas réellement contaminé l’Iowa. En effet, ce matin, la finale de la Coupe du Monde s’est jouée au Maroc, qui était le pays hôte de la compétition. Pourquoi n’ai-je pas parlé du tournoi plus tôt, me direz-vous ? Premièrement car je n’ai pas eu le temps de m’y intéresser et ce pour la première fois de ma vie, deuxièmement parce que l’Autriche ne s’est même pas qualifiée. Notre campagne de qualification a tourné au fiasco et notre élimination en playoffs par la Bulgarie a fini de me dégoûter.
Quoiqu’il en soit, cette édition marocaine était apparemment un bon cru ; j’ai pu regarder la finale puisque le coup d’envoi de celle-ci était donné à quatorze heures ici et que nous courons de nuit. J’ai donc pu assister à un véritable miracle ; les Pays-Bas ont enfin vaincu la malédiction et sont parvenus à décrocher leur première étoile en battant l’Espagne en finale. Nyck de Vries est toujours en érection, je crois, à cause d’un but de la tête de Matthijs de Ligt puis d’un effort solitaire de toute beauté du joueur d’Arsenal Steven Bergwijn, deux buts qui permettent à la génération dorée de Hollande de faire ce que Cruyff, van Basten ou Robben n’avaient pas pu faire avant et leur football offensif a triomphé sur le jeu léché espagnol. Pour la médaille de bronze, l’Italie a relevé la tête après son élimination en demies pour venir gagner la petite finale face à l’équipe norvégienne, sensation de cette Coupe du Monde. Mais désormais, place aux choses sérieuses : le Grand Prix de l’Iowa.
---AVANT-COURSE
Jakob : Bonsoir à tous. Bienvenue sur ÖRF Sport + à cette heure terriblement tardive, vous nous rejoignez en direct de l’Iowa, état hôte de la onzième course de la saison d’Indycar. Vingt-heures cinquante-huit ici à Newton, trois heures cinquante-huit du matin à Vienne et merci à vous de nous suivre malgré l’horaire ; peut-être certains d’entre vous ont décidé de rester debout après la finale de la Coupe du monde pour nous suivre...Quoiqu’il en soit, je suis accompagné en cabine par Rene Binder, bonsoir Rene.
Rene : Bonsoir Jakob, bonsoir à tous nos fidèles fans de sport automobile. Le sacrifice d’un rythme de sommeil valait-il le coup ? Réponse imminente ici dans l’Iowa ; les vingt-quatre acteurs ont intérêt à nous divertir pour maintenir nos téléspectateurs éveillés !
---DÉPART
Jakob : C’est vert, c’est parti ! La meute emmenée par Colton Herta est libérée, c’est parti pour trois-cent tours ici dans l’Iowa !
Rene : Envol très calme pour le moment, VeeKay tente sur Newgarden mais ça ne passe pas.
---TOUR 20
Jakob : Premier changement de leader dans cette course ; exit Herta, Rinus VeeKay s’empare de la tête ! Le néerlandais, porté par le résultat de son équipe nationale au Maroc, mène cet Iowa 300.
---TOUR 57
Jakob : Drapeau jaune, Pace Car !
Rene : Ouh là...Un carton en piste, à la sortie du virage 2…
Jakob : Tout à fait, on a deux voitures impliquées ; la Schmidt Peterson de Sarah Haymond-
Rene : Et Niki aussi ! Regardez, Niki a terminé sa course à l’intérieur de la piste, les voitures sont passablement endommagées !
Jakob : Haymond s’extrait de sa voiture et on voit Niki bouger à l’intérieur de son cockpit. Plus de peur que de mal, on va pouvoir avoir un replay et on est évidemment soulagés de savoir que les deux pilotes vont bien…
[...]
Jakob : Niki suivait Sarah Haymond et...Oh, le contact ! Oh mon Dieu !
Rene : Oh putain ! Pardon mais là...Quelle violence et en même temps quelle chance pour Niki…
Jakob : Niki a touché l’arrière de la voiture de Sarah Haymond, elle est partie en tête à queue et la RLR a littéralement décollé par-dessus, quel crash effroyable !
Rene : Niki pourra remercier le ciel ce soir, il s’en fallait de peu pour qu’on assiste à un crash gravissime, heureusement il a tapé le mur en béton et sa voiture a perdu beaucoup d’énergie à ce moment, car sinon il aurait continué son décollage et il aurait atterri dans les grillages, ce qu’on n’aime jamais voir. Énorme impact mais le drame a été évité...Pfiou.
Heather: Are you ok?
Niki: Huff...Yeah...I’m ok.
Rene : On entend bien dans sa voix qu’il a pris une décélération frontale extrêmement importante, sa respiration est très forte, il va être sonné un petit moment je pense.
Jakob : Le public de l’Iowa applaudit Niki Kofler, qui s’extrait à l’instant de sa voiture alors que Sarah Haymond vient aux nouvelles. Nous voilà rassurés, même s’il est obligé de s’asseoir pour remettre son volant.
Rene : Souffle coupé, jambes coupées, à mon avis il a dû se faire une belle frayeur.
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Putain, quel impact. De loin le plus gros crash que j’ai subi dans ma carrière et pourtant, j’en ai vu quelques uns. En une fraction de seconde, avec un contact minime, les monoplaces d’Indycar plus que n’importe quelles autres voitures de course deviennent des projectiles. A une vitesse de 320km/h, effleurer la roue arrière-gauche de Sarah Haymond n’était pas une bonne idée, bien que je l’ai fait de manière accidentelle, et ce qui a suivi a joué un bon rôle pour souligner l’erreur que je venais de commettre. Ma voiture a décollé sur le museau de la sienne et, fort heureusement, j’ai heurté le mur en béton situé à l’extérieur de la piste avant que l’air ne s’infiltre trop sous mon fond plat : la dissipation d’énergie effectuée par ce mur m’a peut-être sauvé la vie, disons-le clairement. Sans ça, ma voiture aurait complètement décollé et serait allée s’écraser dans les grillages pour un verdict bien plus incertain.
Bien que sonné sur le coup, je n’ai rien ; la première discussion avec le médecin de la voiture médicale dépêchée pour venir me chercher allait dans ce sens et la vérification au centre médical du circuit l’a confirmé. Même si, psychologiquement, ce crash était assez important, je n’en garde aucune séquelle physique et c’est tant mieux. Au sortir du centre médical du circuit, je suis simplement soulagé de m’en sortir sans la moindre égratignure car, à quelques centimètres près, on parlait potentiellement d’une fin de carrière ou pire.
Une fois les vérifications effectuées par l’équipe médicale, je reviens dans le garage où tous les gars sont soulagés de me voir encore entier. Des images comme celles diffusées à la télé ne ravissent jamais les fans du sport et encore moins les acteurs, c’est donc pour ça que j’ai estimé nécessaire de rapidement rassurer sur ma condition. Après un mot avec les mécaniciens, je me dirige vers le pitwall pour échanger rapidement avec Bobby et avec Moe, qui me montre les images du crash. Le simple fait de le revoir ne m’a pas fait plaisir, pourtant je connaissais l’issue, c’est dire ! Pour la suite, c'est le rôle de spectateur qui m'attend : pas le plus passionnant, mais je n'ai pas le choix.
Le spectacle est finalement de piètre qualité. Aucun Pace Car dans les quatre-vingt-dix derniers tours donc les écarts ont grandi peu à peu durant la course pour finalement devenir impossibles à combler. C’est le cas pour le vainqueur du jour, Rinus VeeKay, détenteur de son premier succès de la saison dans une journée décidément réservée aux néerlandais.
RVK a dominé la course de la tête et des épaules et il s’est imposé avec une poignée de secondes d’avance sur un solide Newgarden et...Graham ! Énorme course de mon équipier, remonté de la dix-septième place pour décrocher son second podium de l’année. Graham est parvenu à déposséder le poleman Colton Herta du podium grâce à un savant undercut au moment des derniers arrêts et il permet de positiver un peu après cette course ratée pour ma part.
Résultats :
Championnat pilotes :
D’un point de vue championnat, mon abandon est loin d’être idéal. Josef mène désormais le championnat, je me retrouve troisième à vingt points de la tête et, si Rossi et Stevenson perdent du terrain peu à peu, le top 5 n’est séparé que par vingt-huit points ce qui, en Indycar, n’est rien du tout.
Il est vingt-trois heures quand la course se termine ici, c’est-à-dire six heures en Autriche ; quand la course est de nuit comme c’est le cas sur certains ovales, la plupart de mes proches se réveillent à l’aube pour voir la fin de course ou, au pire, pour assister au podium, aux réactions d’après-course, et caetera. C’est donc vers ce moment que je commence à recevoir des messages inquiets de Karl, de ma mère et surtout de Lena. Il faut dire que, de l’extérieur, mon crash a de quoi effrayer. Mais alors que ça fait plus d’une heure et demie que je suis allé taper le mur, je ne suis déjà plus concentré sur cela ; ce que je retiens, c’est ma situation comptable. Le fait d’avoir quatre grands rivaux pour le championnat dont deux champions me rend nerveux et je ne sais pas ce qui va se passer. Pour ceux qui ne sont pas adeptes d’Indycar, c’est comme si le dixième du championnat était à cinquante points de la tête en F1. Et ce à six courses de la fin de la saison. La fin de cette saison 2026 risque d’être spectaculaire.