Il y a ceux qui aiment Watchmen et qui automatiquement sont déçus (un peu logique), et ceux qui s'en foutent et qui prennent les fans de haut en prétextant qu'ils ne comprennent pas.
J'admire le travail de Lindelof depuis 15 ans (en plus d'aimer Watchmen) et pourtant je demeure mitigé. La série n'est pas "géniale" et je pense avoir largement argumenté en ce sens depuis le début. Par ailleurs je ne suis pas le seul. Encore faut-il avoir la force de lire et d'écrire des posts qui font plus de trois lignes.
Cela dit, pas grand chose à dire sur l'épisode 4. C'était l'épisode le plus "feuilletonesque" : il m'a paru moins riche et long que les précédents... Un bon épisode de série en réalité, mais peut-on parler encore de série quand on évoque une histoire de une saison constituée de 9 chapitres ? Difficile, dans ce cadre, d'être pleinement contenté par ce que cet épisode proposait.
Pour les séquences de Veidt, j'aurais tendance à également à penser que ce sont les meilleures. Dans cet épisode tout du moins. Et, plus généralement, il est vrai qu'en terme de qualité elles prennent le pas sur le reste de la série. La raison est assez simple en vérité. Comme je l'ai dit dans mes précédents posts, la série souffre d'avoir été travaillée et pensée à outrance : il n'y a pas de moment d'arrêt, de flottement, d'instants de faille permettant à l'émotion et par conséquent à la poésie de germer. La série est tellement obsédée par son désir d'être originale et à la hauteur du comics qu'elle est continuellement tendue dans sa structure, ce qui empêche aux intuitions de dépasser le concept.
Or l'intrigue de Veidt est tellement justement à part, isolée, comme libérée de cette structure et de cette obsession de perfection, du détail, du clin d’œil, qu'elle en demeure plus agréable. La vie jaillit davantage de ces séquences, ce qui est paradoxal au vu de ce qu'on y voit (un homme seul qui tue des clones). C'est presque un bol d'air, l'un des rares moments où la série paraît se tranquilliser et prendre son temps. C'est un aparté en somme, assez propre de l'allégorie du Black Freighter dans le comics. Et je sais d'ailleurs qu'ils ont tourné toutes ces séquences d'une traite, avant de passer au reste à Tulsa. Ça se voit.
Ce qui est agréable, également, avec cette "bulle" (autant narrative finalement que géographique), c'est que la série paraît libre de ses obsessions en terme de représentations. On sent que la série est obsédée par la question de la race et du sexe, et non pas seulement en tant que thème, mais dans sa façon d'incarner ses personnages. C'est très clair lorsque l'agent Petey, le "mâle blanc", se retrouve exclu de la rencontre entre les femmes "bad-ass" que sont Angela, Lady Trieu et Laurie. La série, intelligente et ironique, s'en amuse bien sûr, mais cela crée, encore une fois, une sensation de tension dans la narration. On ne peut se dépêtrer de cette idée de FORCEMENT détourner les codes, notamment au niveau des personnages féminins. La série a un côté malin, dans la confidence, coup-de-coude : je parlais d'esthétique de poseur, mais ce qualificatif s'applique également à sa narration.
En ce sens, le travail de Lindelof sur le personnage de Laurie est à mon avis à côté de la plaque. Il expliquait qu'il trouvait que le personnage, dans le comics, était trop unidimensionnel, sous prétexte qu'elle demeurait une jeune fille "dominée" par son amour pour le Dr. Manhattan, et qui pour s'en libérer va vers un autre homme (le Hibou). Or je ne vois pas en quoi c'est unidimensionnel : le personnage de Laurie dans le comics était beau, c'était presque le cœur de son récit (avec l'idée de la vie inévitable qui naît du viol, de la cohérence qui naît du chaos). OK ce n'était pas une femme forte, mais et alors ? Depuis quand un personnage féminin doit-il être fort pour être intéressant ? Au contraire, ce que Lindelof fait avec Laurie est justement unidimensionnel : pour tenter de complexifier son personnage, il décide de la rendre "bad-ass". Bad-ass avec des failles (et un godemiché), mais avec des failles. C'est un immense aveu d'échec à mes yeux. Comme si, dans ce nouveau Watchmen, le seul moyen de rendre les femmes intéressantes, de "twister" le cliché propre aux personnages féminins, c'était de les rendre aussi féroces et cyniques que les hommes. Alan Moore ne faisait pas cette erreur.
Enfin c'est juste un exemple (j'en donnais d'autres dans mes précédents posts), mais on sent ce travail du détournement, du twist, de l'originalité, dans chaque plan de la série, ce qui fait qu'elle est trop guindée. Et à côté de cela, les séquences de Veidt, totalement libres, sont fort agréables...
(Sinon pas mal de références à NoName de Lost dans cet épisode. Quand Lady Trieu dit "my mother told me I'll never lever Vietnam, so I found a loophole" ou le "I will escape this godforsaken place" de Ozymanadis. L'idée du monde boule de neige rappelle, évidemment, l'île...)