I.
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Un voile passa dans le seul œil organique du jeune sous-officier.
— Ils avaient des machettes. Légèrement courbes, pleines de rouilles. Ils n'ont pas attendu pour me dire que cela serait long, très long. Ils ont pris leur temps... Ils ont tranché, petit à petit. Les doigts, la main, le bras. Ils ne prenaient pas la peine de me soigner correctement. Tout ce qu'ils faisaient, c'était mettre un garrot pour ne pas que je me vide, pour que je puisse continuer à souffrir. J'ai souvent perdu conscience, je me réveillais lorsqu'ils reprenaient leur torture. Ils ont pris mon bras, ils ont pris ma jambe de la même façon. Mais cela ne leur suffisait pas. Ils riaient. Ils me crachaient dessus... Et puis quand je n'avais plus la force de crier, de pleurer ou de prier le Dieu-Machine d'abréger mes souffrances, l'un d'entre eux a pris une cuiller. Il m'a regardé longtemps, il a dit " tu n'auras plus l'occasion de voir grand-chose, alors regarde-moi bien, et dis à ton dieu menteur que ses serviteurs doivent cesser d'être aveugle".
Le jeune homme passa une main mécanique sur son œil robotique. Il eut l'impression de caresser le mirage d'un miracle.
— Ils m'ont laissé saigner, comme un porc. Ils m'ont apporté de l'eau et des rations, m'ont gavé de force. Ils m'ont répété que je ne mourrais pas, pas encore du moins. Petit à petit, je ne savais plus où se tenait la réalité. J'ai rêvé ma torture et vécu des jours heureux de mon enfance, des siècles remplaçant les secondes. J'avais l'impression parfois, d'entendre ces chiens d'hérétiques. Ils parlaient sans être là, leur voix résonnait contre les murs de la grotte. Ils parlaient de leur cabane, de l'avancée des Externes. Je compris que je délirais, que j'allais bientôt vivre la fin de mon agonie... Quand j'ai réellement repris conscience, il n'y avait plus de grotte. Juste ce lit, un cybernaute qui souriait à mes côtés.
— Ils vous ont remis en état plus vite qu'ils ne l'imaginaient, adjudant. Presque moitié moins de temps que les protocoles standards.
— Je m'en serais bien passé, commandant.
Avec une curiosité qu'il trouvait écœurante, Guilhem scruta ses mains, retira le drap qui le couvrait, faisant jouer les articulations de ses jambes.
— J'ai failli à ma mission, et on m'a récompensé. Cela n'a pas de sens, commandant. Je ne mérite aucun honneur, et me voilà promu à un rang qu'on réserve aux héros...
— Regrettez-vous d'être toujours en vie, adjudant ?
Guilhem remit les draps sur ses jambes, et s'affala dans le lit.
— Que dira mon père quand il apprendra que je suis toujours vivant ?
— Je suis sûr qu'il sera très heureux...
Un sourire triste anima les lèvres du jeune homme.
— Vous ne le connaissez pas, commandant. Je serais sa honte. Son fils qui n'a pas su suivre sa trace. Je n'ai pas son courage, ni sa bravoure.
— Mais vous avez eu l'intelligence de rester vivant suffisamment longtemps là où personne n'aurait survécu. Cela ne vous trouble pas ?
— Comment ça, commandant ?
Flinn, jusqu'alors debout, s'installa dans une chaise disposé au pied du lit.
— Les cybernautes qui vous ont remis d'aplomb sont catégoriques. Personne, absolument personne, n'aurait pu survivre avec les blessures que vous aviez. Et vue l'ancienneté des plaies sur vos ... bras et votre jambe, il est probable que vous avez été torturé depuis au moins trois, peut-être quatre semaine.
Guilhem blêmit.
— Mais, commandant Flinn, c'est totalement impossible.
— Cela le serait pour quelqu'un à la condition physique normale.
Le sous-officier s'emporta d'un rire presque hystérique. Alors qu'il se calmait, il reprit.
— Commandant, vous avez bien vu ma carrure avant que les cybernautes ne me ... réparent. J'étais maigre, sans endurance. J'avais une santé relativement précaire.
— Des problèmes d'infections ?
— Rarement, et jamais très longtemps. Mais ...
— Des fractures ?
— Un bras cassé à l’adolescence. Les médecins s'étaient même étonne que ...
Une lueur passa dans son regard.
— Attendez commandant. Qu'est-ce que cela veut dire ?
— Avec un père capable de vous prodiguer les meilleurs soins dès que vous en aviez besoin et peu de problèmes réels potentiellement mortels, cela ne m'étonne pas que cela n'ait été remarqué. Mais vu l'état dans lequel vous êtes arrivé à bord de l'Ankara... Les cybernautes ont procédés à une batterie de test et d'analyse en tout genre. Et devinez ce qu'ils ont trouvé ?
— Je ne sais pas.
— Des nanites présente dans votre sang.
Guilhem souleva un sourcil, comme blasé.
— Et alors ? Mon père sert le Dieu-Machine, il était déjà un cyborg lorsque j'ai été conçu. C'est parfaitement normal qu'on en retrouve dans mon sang.
— Vous rappelez vous des taux nominatifs ?
— Quelque chose de l'ordre de cinq à dix millions par millilitres de sang.
— Et devinez quel était votre taux ?
— Je ne sais toujours pas, s'impatienta l'adjudant. Le double peut-être.
— Dix mille fois la concentration habituelle.
Guilhem écarquilla son œil.
— Vous plaisantez ?
— Absolument pas. Les tests ont été refait à vingt-trois reprises pour être exact. Les cybernautes sont restés béats face à cela. Ils en ont conclus que c'est cela qui vous a maintenu en vie aussi longtemps.
— Les dosages que j'avais eu en étant enfant était normal ... C'est impossible.
— Les nanites ont dû se créer à partir de vos réserves pour vous protéger. Vous avez dû commencer à en fabriquer en grand nombre dès que vous êtes arrivé sur Barnard Prime.
Cette réponse arracha un sourire à Guilhem. Il secoua la tête.
— Tout cela n'a aucun sens...
— Peut-être. Mais dans ce cas... Que pensez-vous des voix que vous entendiez dans la grotte ?
— Des hallucinations liées à mon état de santé. Déshydratation, douleur, anémie. Les causes doivent se compter par dizaine.
— Pourquoi ne pas imaginer que ce que vous avez entendu était bel et bien réel ?
— Parce que cela serait impossible ! Voyons, commandant, vous êtes un Inquisiteur reconnu. Vous êtes le traitement de choix contre toutes les hérésies connues envers le Dieu-Machine. Et vous seriez en train de me dire que les voix que j'entendais existaient ?
— Parfaitement.
— C'est un blasphème !
— Ne soyez pas stupide, reprit sèchement Flinn. Je ne m'avancerai pas dans de telles considérations si je n'avais pas de preuves solides.
— Eh bien, surprenez-moi à nouveau.
— La multiplication des nanites a eu un effet sur vos perceptions. Je ne saurais en expliquer les mécanismes, mais il semblerait que cette augmentation ait stimulé certaines zones de votre cerveau à même de développer une capacité de télépathie.
— Conclusion commode.
— Ce ne serait pas une conséquence si miraculeuse que ça... Car voyez-vous, adjudant, certaines espèces sont capable d'un tel "prodige".
— Citez en ne serait-ce qu'une seule.
— La mienne, adjudant.