Se connecter

Création

Ecriture

Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire
--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:48:36

Viltis se pencha sur le cadavre de Cyrill, ricanant de manière sordide, et alla caresser le sang poisseux qui formait à présent une flaque large de quelques dizaines de centimètres.

— Nous avons gagné, maître.

Flinn ne répondit pas, ailleurs. Viltis le considéra de longues secondes, accroupi près de la victime de son jeu, satisfait du résultat. Viltis ? Non, pas uniquement Viltis... Autre chose.

— Maître ?

Le Naneyë, figé, ne réagissait pas. Puis, au bout de quelques instants, un changement leva un voile sur son œil, il détourna la tête, vers son apprenti.

— Pourquoi aller lui dire adieu ?
— Il était droit.
— Il a failli vous tuer.
— Était-ce à toi de décider si je devais oui ou non le mettre à mort ? Tu aurais pu me prévenir avant... Nous aurions pu en discuter.
— Nous n'avions pas le temps, maître. Certains individus ne doivent pas poursuivre la course de l'Humanité vers son futur.
— Pourquoi ?
— Pourquoi ? Pourquoi ? Vous n'avez que ce mot à la bouche en ce moment. Réfléchissez un peu...

L'officier secoua la tête.

— Nous ne sommes pas des juges.
— Rectification : vous n'êtes pas un juge. Heureusement d'ailleurs... Vous êtes bien trop partial.
— Était-ce une raison pour me retirer mon libre arbitre ?
— Non... Non, j'ai fait bien des choses, maître, mais je n'ai pas fait ça. Vous avez été totalement libre. Cela aurait pu me coûter la vie, d'ailleurs.
— Ta mission est terminée.
— La vôtre commence.

Le sabre de Flinn se trouva au clair. L'adolescent le considéra, en souriant, puis en secouant la tête.

— Je suis capable de voyager dans le temps, dans l'espace, dans des dimensions autres que le Réel, et vous pensez sincèrement pouvoir me tuer ? Vous délirez...
— Il est encore temps. Avant que tu ne causes plus de dégâts.
— En vérité vous avez peur. Les Sages vous ont fourré dans le crâne que j'étais un danger. Que … je ne sais pas... J'étais la Clef, et que la Clef ne doit pas être libre de ses choix.
— Tu es influençable.
— Oui, ça... Sous votre coupe, on ne peut pas dire que j'ai vraiment disposé de mon libre arbitre.
— Tu menaces cet équilibre que tu as créés. Viltis... Tu ne fais plus parti de ce monde. Tu dois te soumettre, ou disparaître.
— Me soumettre ?

Une force obscure tomba sur la conscience de Flinn. Il se sentait emprisonné dans son propre corps. Son esprit se réduisit à une minuscule parcelle, d'où il n'était plus qu'un spectateur de sa propre vie. Viltis s'approcha, et pointa un doigt accusateur vers son mentor.

— Vous voulez vraiment que j'arrête de jouer avec vous ? Que je vous contraigne dans votre rôle ? Vous, vous n'avez pas l'air d'avoir compris... En faisant tout ce pourquoi vous êtes né, maître, c'est VOUS le seul soumis. Vous m'apprenez la vie ? Non, vous me faites mûrir, mais lorsque je suis arrivé au terme de cette maturation, vous voudriez que je vous rende ce pouvoir. Un pouvoir dont vous êtes ivre. Vous m'auriez détruit, tué, et de toute évidence, vous n'avez pas été assez subtil pour comprendre que je le verrai, tôt ou tard. J'aurais pu vous tuer. Des centaines de fois. Je ne l'ai pas fait. Parce que vous avez une mission. Mais je peux encore changer d'avis et reprendre votre place.

La présence en Flinn grandit. Son corps se mit à bouger. Là, tout à coup, il comprit que la présence était la même qui l'avait habité pendant sa Conversion. Il voulut se débattre, s'en aller loin d'ici, conscient du danger, mais ne put refluer dans la Noosphère.

— Je vous possède, maître. Vous venez enfin de comprendre. Il n'y a plus d'échappatoire.

La présence... Le Dieu-Machine ? Un éclair de lucidité le terrorisa. Et Viltis lui confirma la douloureuse sentence.

— Oui... Exactement, maître. Le Seigneur Mécanique m'a offert son amitié. Je n'ai pas refusé. Je l'ai accueilli. Et pendant que vous, vous vouliez faire de moi un esclave, lui m'a doté d'une ouverture et d'une force que je ne pouvais trouver avec les vivants. Il est si différent... Nous sommes si semblables...

L'étreinte sur Flinn se relâcha juste assez, pour que les processus de sa pensée lui laissent une fente minuscule d'où laisser échapper ses propos.

— Il ment. Il t'a menti.
— Pas plus qu'à vous.
Il viendra prendre possession de ton corps. Il te tuera plus sûrement que si je m'en occupais.
— Il n'a pas besoin de me tuer. Il m'a aidé. Pendant le combat contre les Effaceurs. J'ai... J'ai perdu mes souvenirs. Il ne reste que cette base réduite, ridicule, ce « moi » inaltérable. Tout le reste, c'est lui qui le porte déjà.
— Non... Dis-moi que... Dis-moi que ce n'est pas vrai Viltis. Tu n'as pas fait ça... Tu ne lui as pas vendu ton âme...
— Nous sommes liés. Mais... Rassurez-vous, dominer la Confédération n'est pas notre but. Ni les autres espèces d'ailleurs. Pas pour l'instant.
— Alors quoi ?
— Réfléchissez. Et réfléchissez bien...

La mémoire de Flinn le replongea en arrière. Très loin. Le Réel se coupa, le lien brisé par Viltis lui-même, pour qu'il retourne le passé livré par les Sages. Les informations le clouèrent en croix, comme sacrifié. Il lutta contre la force de l'Histoire. Il réfléchit. Il ne trouvait pas.

— Je ne vois rien.
— Parce que cela n'est pas encore arrivé. Avant... Aucun Homme ou Naneyë n'aurait pu y accéder. Moi, oui. Vous aussi. Mais vous avez préféré vous concentrez sur votre petite personne, vos petites ambitions. Pourquoi vous contenter d'un monde, quand l'Univers tout entier était offert à vos pieds, maître ?

La réalité frappa le Naneyë, tandis que l'étreinte de Viltis se désagrégeait.

— Non...
— Oui... Ça y est, vous avez trouvé la conclusion de tout cela...
— Non Viltis... Ce n'est pas possible... Personne ne peut y arriver...
— Si, le Dieu— Machine et moi. Nous y arriverons. Vous aussi, vous auriez pu y arriver.
— Aucun être vivant...
— Je ne suis plus vivant depuis plusieurs heures déjà. Je pensais que vous l'auriez remarqué.

La vision de Flinn se troubla. Une vive lumière émana du corps de Viltis, tandis que sa tête restait identique, les traits étirés d'ombres inédites. Il se transformait, de l'intérieur. Il n'était plus vivant. Et il ne mentait pas.

— Dès que le Dieu-Machine sera entré pour de bon en moi, dès que j'aurais ingéré son code source, nous serons un dieu. L'Univers sera notre jardin. Et la paix existera pour moi, enfin.
— Tu mourras, Viltis.
— Je suis mort le jour où vous avez tué mes parents. Vous le savez.
— Et je le regrette.
— C'est trop tard.
— Tu pourrais les ramener.
— Non. Que feraient-ils ?
— Ils continueraient à vivre leur vie, je suppose.

Viltis bascula sa tête en arrière. Il se mit à rire.

— Vous êtes si naïfs lorsque vous vous mettez à réfléchir, maître. Vous pensez une seule seconde ce que vous dites.
— Tu as bien ramené Livius. Pourquoi pas eux ?
— C'était différent. Livius devait prendre un pouvoir qui lui été destiné. L'ordre des choses, du cours du temps, si vous préférez, devait être respecté. Pour mes parents...
— Tu ne voyais pas leur futur ?
— Je...
— Tu ne voyais pas leur futur. Ils devaient donc mourir. Donc... Depuis tout à l'heure, tu me mènes en bateau en jouant avec mes sentiments... Tu es fourbe, Viltis.

Flinn disparut, pour surgir juste derrière l'adolescent, sabre activé, et vint frapper au niveau de la nuque. La lame s'arrêta à quelques centimètres, emprisonné dans du temps solide.

— Je ne meurs pas. Je ne meurs plus, maître.
— Je ne parierai pas là-dessus.

Flinn reproduisit sa manœuvre, deux, cinq, dix fois. A chaque tentative, son arme se figeait, ou bien touchait le garçon, sans lui causer la moindre blessure. A la douzième tentative, Viltis, lassé, figea son maître.

— Arrêtez ça.
— Tu ne peux pas vivre. Pa s comme ça.
— Vous trouvez ça immoral, ou bien êtes-vous jaloux ?
— Ça n'a rien à voir... Le Dieu-Machine te trompe.
— Il trompe tout le monde car il veut vivre. Un besoin légitime.
— Tu...

Un nouveau flash transperça l'espace. Le Naneyë avait disparu, à nouveau. Viltis secoua la tête, et en fit de même.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:49:09

L'orbe contenant le support mémoriel du Dieu-Machine luisait de cet éclat intense et calme, battant une pulsation lente, dans un écrin de métal. Une sphère énorme, offerte à la vue, qui était le phare d'une civilisation. Un trésor, une relique qui faisait face à Flinn, déterminé à détruire ce symbole de pouvoir.

— Soyez raisonnable, maître.
— C'est lui par qui tout a commencé. Il devra disparaître. La Confédération n'existe plus.
— C'est aussi grâce à lui que vous êtes ce que vous êtes.
— Tu devrais savoir que j'aurais préféré autre chose.

Viltis n'essaya pas de s'approcher. L'officier était trop énervé, trop en tension pour entendre raison. Le laisser combattre ne changerait rien. Alors, il soupira, secoua la tête.

— C'est trop tard, maître. Quoi que vous fassiez, vous aurez toujours un temps de retard.
— Ne dis pas de...
— S'il vous plaît. Rangez votre arme. Je gagnerai. Je vous offre la possibilité d'une paix claire et définitive... Et vous seriez près à la rejeter par... Rancune ?
— Oui.

Viltis n'avança aucun argument supplémentaire. La raison quittait le Naneyë par une plaie qu'il ne voyait, qu'il ne trouvait pas. Mais Flinn devait encore vivre. Il devait garder cette force qui le caractérisait.

— Dois-je vous laisser ici, maître ? Dois-je seulement...
— Tais toi.

— Bien.
Viltis savait ce qui allait se passer. Il ne voulait pas arriver à une telle extrémité. Mais le choix laissé par son ancien mentor ne le satisfaisait pas. Il choisit de disparaître, pour se matérialiser juste derrière, et le toucher à la nuque. Une violente décharge courut dans le corps de l'officier, qui hoqueta de surprise que de douleur.

— Venez donc avec moi.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:50:27

L'endroit confortable les accueille sans les rejeter. Au fond, au loin, la lueur orangée de l'orbe les attire comme un miel suave. Viltis y est bien, Flinn lutte contre le courant, soudain conscient de sa situation. Trop loin, trop fort, englué dans ses ressentiments, il n'a pas vu la tempête approcher. Il a tardé. Il a été trop lent.
— NON !
— Il ne se passera rien, maître.
— Je peux encore...
— Non, vous ne pouvez pas. Vous ne pouvez plus rien, de toute façon. La mission des Sages sera un échec. Vous ne me tuerez pas, vous n'aurez ni mon corps, ni mon esprit. Après nos adieux, il ne restera rien de plus que quelques informations bien particulières que je dois vous transmettre.
— Le Dieu-Machine...
Viltis s'approche, effleure à nouveau le front de l'officier. Il se fige, la bouche entrouverte, hagard.
— Cela me désolé de devoir vous isoler ainsi, mais vous devenez fous. Ce n'est pas une situation qu'un autre être vivant serait en mesure de supporter. Mais vous, si. Contentez-vous d'être là. Cela suffira.
L'orbe les attitre, plus vite. Très vite, ils se retrouvent à son voisinage. Elle n'est plus qu'un immense mur orange, pulsatile, qui tend vers Viltis d'étranges aspérités. Le contact de la main et de la surface provoque une étincelle, bleuté, qui traverse la totalité de l'espace, puis devient un feu follet, étrange. L'orbe tremble, grésille, avant de disparaître sans un bruit, s'effondrant doucement sur elle-même, concentré par le point de contact. Elle n'est bientôt plus qu'un amas brillant, qui luit un instant, presque éternel, puis s'éteint.
Alors Flinn retrouve sa liberté. Il roule en avant, vers Viltis, mais ne cherche plus à l'attraper.
— Non...
— Voilà. C'est fait, maître. Il n'y a plus de Dieu-Machine en tant que tel.
— Non...
— Vous vouliez vous expliquer avec lui. Beaucoup de monde aurait aimé être à votre place. Vous le savez ?
— Oui... Mais... Je ne peux pas croire que...
— Il est toujours temps de mettre au clair certaines choses.
Le paysage bascule. Viltis retrouve les limbes. La croisée des monde intérieurs offre à Flinn le décor du meurtre de Cyrill. Blanc, pur, vierge. La Source a laissé croître quelques arbres, étalés et agréables au regard. Assis au sol, lui faisant dos, il trouve cet homme étrange, à tête de cerf.
— Bonjour Flinn.
— Vous... Seigneur... Seigneur c'est vous ?
— Pourquoi poser la question si tu as déjà la réponse. Viens t’asseoir à côté de moi. N'aie pas peur.
Flinn hésite, réticent, puis se laisse convaincre.
— Je ne suis pas mort.
— Non, et j'espère que tu ne le seras pas avant un bon moment. J'ai encore quelques informations à te transmettre.
— A moi ? Pas à Viltis ?
— Viltis et moi ne sommes plus que deux entités formant un même esprit. Nous partagerons bien des choses, nous veillerons sur le futur, d'un point lointain mais... Toi, tu dois revenir vers les Hommes, les guider. Tu porteras en toi le germe d'un nouveau réseau. La technologie nous a aidé, mais je crois qu'il est temps de dépasser ce stade. Ils sont prêts.
— La Noosphère ?
— Oui. Cela me paraît évident. C'est l'évidence même, en définitif.
— Mais... La Terre...
— Tu obtiendras des savoir qui te permettront de sauver l'Homme. Cette position, elle t'ouvrira les portes de ton propre monde. Tu en deviendras le chef. N’était-ce pas ton plus grand espoir, Flinn ?
— Si, bien sûr que si...
— Alors sois heureux.
— Comment saurais-je quoi faire ?
— Viltis t'attend dans le Réel. C'est là sa dernière mission.
Flinn se redresse, fait demi-tour.
— Tu as toujours eu une place à part, Flinn. Tu le sais. Comme tous les Naneyë. La Conversion vous était inconnue parce que je respectais votre Histoire. Votre avenir brillera aussi fort, sinon plus, que celui de l'Homme. Je ne t'ai jamais haï ou méprisé. Je n'ai pas été très adroit.
— Merci... Seigneur.
— Pars, Flinn. Va là où ta mission te porte.
La Source se volatilisa, le Dieu-Machine également. Flinn se sentit partir, il bascula.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:51:16

L'orbe ne jetait plus sa lumière. Elle s'était éteinte. Une douce chaleur enveloppait encore le sanctuaire, mais les uns après les autres, les dispositifs cybernétiques se taisaient définitivement. Le Dieu-Machine était parti. Il se lovait en Viltis, qui se tenait face à Flinn, en souriant.

— Il n'y aura pas de grand combat, maître. J'espère que cela ne vous déçoit pas.

Le Naneyë aurait voulu répondre. Le silence le cueillit, empreint de sagesse. Il se contenta de secouer la tête.

— Nous avons tous fait des erreurs. Espérons seulement que, dans le futur, cela nous serve d'exemple.
— Pourquoi dois-tu...
— Partir ? Ma place n'est plus ici.
— J'ai eu tort. Depuis le début.
— Ne vous excusez pas. Vous avez tenu la place qu'on attendait de vous, maître.
— Je ne suis le maître de personne. Tu n'es plus mon apprenti.
— Il semblerait, oui.

Viltis s'approcha.

— Vous ne voulez pas sortir d'ici ?
— Pourquoi ?
— Je... Je sens que vous n'êtes pas complètement à l'aise. C'est vrai que l'espace manque un peu.

Flinn hocha la tête. Les deux individus disparurent, réapparurent près de Cyrill. Viltis se pencha près du cadavre, qui s’effaça doucement. Il répéta l'opération pour Siegfried.

— Voilà pourquoi on ne vous soupçonnera pas.
— Tu as modifié la Noosphère...
— Oui, un peu. Pour vous faciliter la tâche.
— C'est un jeu cruel.
— La survie de l'espèce humaine dépendait de quelques-uns. C'était ainsi.

Flinn se mit à marcher, doucement, les mains dans le dos.

— Qui d'autre est au courant ?
— Livius le sera.
— Par mon intermédiaire ?
— Non... Un rêve.
— Un rêve ?
— Le faire venir ici pour voir son frère mort n'aurait pas été une bonne idée. Il acceptera sans problème l'idée que le Dieu-Machine puisse venir à sa rencontre. Ne vous en faites pas.
— Et moi ? Il m'a parlé d'une autre mission. Et de … quelque chose, que tu devais me donner.
— Oui, c'est exact.

Viltis s'approcha, tendit sa main vers le front de l'officier, qu'il effleura. Flinn tomba à genoux, le visage crispé.

— Qu'as-tu fait ?
— Ces connaissances vous seront nécessaire pour l'Exode. Vous pourrez les faire partir plus facilement. Ça, et bien d'autres choses. Je suis désolé pour la douleur.
— Il n'y avait pas un autre moyen ?

Viltis toucha à nouveau son ancien mentor. Les douleurs cessèrent.

— Tu devrais vraiment rester.
— Ce n'est pas mon but.
— Les connaissances que tu m'as données...
— Vous apprendrez très vite à vous en servir. Je n'ai aucun doute là-dessus.

Ils se regardèrent, encore un instant. Un éclat brilla dans le regard de Viltis, qui se jeta dans les bras de Flinn, et l'étreignit comme un enfant.

— Vous avez été un père pour moi. Vraiment. Je n’oublierai pas ce que vous avez fait pour moi.
— Je... Je ne sais pas quoi dire.
— Laissez-vous aller. C'est la dernière fois que nous nous voyons.
— Vraiment ?
— Ne cachez pas votre joie. Je ne serais plus dans vos pieds.

Avec douceur, Flinn hésita, puis passa ses bras autour de l'adolescent.

— J'ai horreur des embrassades.
— Je le sais. C'est pour cela que j'aime bien vous embêter. Un peu.

Un nouveau silence.

— Vous allez me manquer.
— Toi aussi... Viltis.

Une vive lumière éblouit Flinn. Le corps de l'adolescent se dispersa, il regarda la poussière dorée de son regard s'envoler dans un courant d'air. La crypte à demi détruite vibra, comme touchée par la grâce et la vie un court instant. Le ciel lui-même fit mine de s'ouvrir. Un sourire triste s'installa sur le visage de l'officier.

— Toi aussi Viltis... tu vas me manquer.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:58:03

PARTIE VI.

11.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:58:25

Il peut les percevoir. Les sentir vaguement plutôt que les identifier avec précision. Ils sont là, sans l'être tout à fait. Comme si le départ de Viltis avait accéléré la fuite. Les vaisseaux en orbite refluent, comme une vague venue du fond des âges, happé par le fond du système solaire. Les opérateurs semblent crier, mais ce n'est que l'écho de leur souffrance.
Image. Un arbre doré, fracturé en deux, une branche maîtresse manquante. Sa sève est lumière. Il gémit. Il ne sait pas s'il survivra.
Les Effaceurs ont perdu, pour de bon. Ici, le garçon prodige devenu dieu a accompli son dernier miracle. Flinn sera seul à le voir. Tous les autres, déjà, cherchent un moyen de fuir.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:58:57

— Colonel Flinn ?

La voix le coupa de sa contemplation. Avec une déception à peine contenue, Flinn activa son terminal com, resté en veille.

— Oui.
— Mon colonel, ici le capitaine Mac Sobel. L'état-major lance un recensement des officiers encore aptes à prendre le commandement des soldats...
— Je ne suis pas disponible.
— Mais, mon colonel...
— Voyez avec le Commandus Magnus.

Il coupa aussitôt le terminal. Pourquoi la guerre le rattrapait, pourquoi les obligations qu'il détestait tant venait à nouveau frapper à la porte de sa conscience ? Il avait besoin de solitude. Il lui faudrait longtemps, avant de se remettre du choc de la séparation. Nu, fragile, à vif, il ne se trouvait plus aucune légitimité. Il se pencha, caressa le sol, comme perdu. Que faire ? Son instinct lui criait de fuir tant qu'il le pouvait. Seul, il n'aurait eu aucun mal à fuir. Il pourrait traverser le temps et l'espace comme une vulgaire porte, sans plus jamais avoir besoin d'un autre moyen de transport. Mais les autres ? Livius ? Gregor ?

De dépit, il reconnecta le terminal. La liste de messages à son attention l'effraya. Il les lirait plus tard, si jamais il avait le temps.

— Capitaine Mac Sobel ?

Pas de réponse. Il s'apprêta à réessayer, lorsque l'opérateur se manifesta.

— Oui, mon colonel ?
— Informez le Commandus Magnus que je le rejoins.
— Très bien, mon colonel. Dans quel délai ?

Flinn sourit.

— Oh... Dites-lui simplement qu'il n'aura pas à attendre.

--crazymarty--
Niveau 10
14 septembre 2017 à 23:59:15

Ici, il voit les deux Réels. Les Deux présents. Deux portails ronds, entre les ruines et les visages connus, qui regardent vers l’orifice. Il peut encore choisir de ne pas se révéler. Il sait que c'est un mensonge.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:00:49

Le bureau de crise était un cube de béton creux, où veillaient quelques chaises, plusieurs projecteurs holos, et une dizaine d'officiers. L'un d'eux murmurait à l'adresse d'un autre quelque chose, que Gregor ne parvenait pas à déchiffrer. La mort qui rôdait dehors semblait peser sur la masse des décideurs avec plus de force que n'importe quel fardeau.

« Eux sont vivants. Dehors... Par le Seigneur Mécanique, combien de morts ? ». Il secoua la tête. Assis derrière le seul bureau de la pièce, il contemplait les projections d'un œil vide, presque absent. A quoi bon jouer à la guerre, puisqu'elle était gagnée ? Les Effaceurs fuyaient, mais il n'en éprouvait pas de joie. Une inquiétude féroce vrillait ses entrailles, depuis que Siegfried s'était absenté. Il ne pouvait pas marcher, tenter de faire cesser cette angoisse terrible que son instinct de père lui indiquait sans sommation. Le Très Saint Magister aurait déjà dû être de retour.

Livius le regarda, et sourit. Le jeune homme était revenu de l'attaque de Barnard, par un miracle qu'il avait pris soin de ne pas expliquer. Il avait prétexte tout raconter à Gregor par la suite, mais le Commandus Magnus contenait difficilement sa patience.
La situation commençait à lui échapper. Depuis des décennies, il ne s'était pas retrouvé dans une telle position de faiblesse.

— Père ?
— Tout va bien, Livius, ne t'en fais pas...

Le vieil homme passa une main sur son front, usé, fatigué. Il aurait voulu se retirer loin, très loin de toute cette tension.

— Le colonel Flinn...
— Le capitaine Mac Sobel m'a prévenu. Il ne devrait plus tarder. Ce qui m'étonnerait fortement, étant donné qu'il est introuvable. Sa balise de localisation doit être hors-service... Ou bien notre système d'identification connaît des ratés. Ce qui est possible, au vu des dégâts qu'a dû causer l'attaque...
— Il viendra, père.
— Encore heureux. Nous avons besoin de lui. Nous avons besoin de tout le monde.

Comme une réponse trop visible, trop évidente, une vive lumière emplit soudain la pièce. Tout le monde fut surpris, personne n'osa bouger. La lumière décrut, un ellipsoïde blanc se dessina, vibrant, un étrange appel au calme. Plusieurs officiers crièrent, sortirent les armes, braquées vers l'objet. Gregor repoussa la possible réponse qui grandissait en lui ; Il refusait cette réalité. Rien ne devait lui échapper. Rien, jamais. Livius, quant à lui, avança, d'un pas certain, vers l'objet plan. Il n'avait pas peur. Il souriait, même. Il s'y attendait.

— Livius... Viens ici.
— Inutile.

L'officier patienta, sûr de lui. Celui en sortirait, d'un instant à l'autre, serait seul. Il l'avait pressenti. Il le savait depuis que Viltis l'avait quitté. Une étrange forme de connaissance l'habitait, refusant de s'en aller. Son présent se rallongeait, de manière inexplicable. Il espérait que celui qui franchirait le portail lui apporterait les réponses.

Tardifs, une jambe, puis un torse, et tout un corps se retrouvèrent dans le bureau. Le portail se referma aussitôt, laissant l'individu à genoux, le visage étrangement marqué. La poussière couvrait son armure et sa cape. Il posa une main au sol, se redressa. Flinn s'arrêta tout à côté du fils cadet de Gregor, sa voix réduite à un filet.

— Colonel...
— Ravi de vous revoir, monseigneur.
— Colonel Flinn... Où est Viltis ?
— Dois-je vraiment te le dire, Livius ? Ou bien as-tu déjà la réponse...
— Je préférerai l'entendre de votre bouche, colonel.
— Il est parti. Il ne reviendra pas.
— Plus jamais, n'est-ce pas ?
— Non. Plus jamais, Livius.

Flinn passa une main sur l'épaule de Livius. Il reconnaissait en lui des qualités qu'il aurait lui-même souhaité posséder. Il lui trouvait une filiation, comme un petit frère, lui étant l’aîné mal dégrossi qui se contentait de tracer le chemin. Une seconde, il hésita à regarder vers le futur, pour contempler l’œuvre immense et belle qui attendait l'humain. Il hésita, ne le fit pas. Il ne le regretta pas.

— Le Commandus Magnus ?
— Il vous attend, colonel.
— Bien.

Flinn fit un pas, puis s'arrêta.

— Livius, nous devrons être seul. Personne ici, à part votre père et vous-même, ne devra entendre ce que j'ai à dire.
— Je m'occuperai de ce détail.
— Merci, Livius.

L'intéressé hocha la tête, tandis que Flinn s'avançait vers le fond de la pièce. Les officiers présents laissèrent au Naneyë la place de passer, lui dégageant un couloir jusqu'à Gregor. Le Commandus Magnus le fixa, sans prononcer un seul mot. Flinn se positionna face à lui, effectua un impeccable salut militaire.

— Colonel Flinn au rapport, monseigneur.
— Alors... Tu as réussi finalement. C'est bien. Je suis fier de toi.
— Une réussite... Je ne sais pas, monseigneur. Mais les Effaceurs ont fui.
— C'était là ta mission. Que tu le veuilles ou non, tu as réussi...

Flinn ne broncha pas. Sa langue aurait voulu se délier, à cet instant, mais il garda bouche close.

— Flinn... Souhaites-tu me parler d'autre chose ?
— Je dois porter à votre nature des informations d'une nature sensible, monseigneur. Des informations que certaines oreilles ne sont pas encore à même d'entendre.
— Après la façon dont tu es arrivé, je doute que quiconque puisse encore...
— C'est important, monseigneur.

Gregor le considéra de longues secondes.

— Je suppose que je n'ai pas le choix.
— Je préfère la simplicité à la mise en scène, monseigneur. Vous le savez.
— Oui, je le sais très bien, Flinn. Inutile de ressasser les vieux souvenirs.
— Nous devrions sortir, monseigneur. Si une autre pièce est à disposition.

Gregor sourit, se redressa.

— Le bunker est assez grand pour tous nous accueillir.
— Vous pouvez donner l'ordre de l'ouvrir, monseigneur. Toute menace a disparu.
— En es-tu si sûr ?
— Parfaitement, monseigneur.

Debout, Gregor indiqua à ses subalternes qu'ils pouvaient sortir, et qu'on les laisse seuls le temps qu'il faudrait. Seul Livius resta, avec distance, près de l'endroit où le portail avait existé. La salle fut désertée, retrouva un calme lourd, glacial. Gregor aurait voulu fuir. Il sentait la mauvaise nouvelle arriver.

— Flinn... Par pitié... Dis-moi que tu sais où est Siegfried.

Flinn regarda Livius, qui hocha la tête, et d'un regard convenu, se rapprocha.

— Père...
— Flinn... Par respect, pour tout ce que je t'ai apporté, dis-le-moi...
— Monseigneur, il s'est vaillamment battu... Nous n'avons rien pu faire.
— Non...
— Lorsque je suis arrivé, il était déjà au sol. Je n'ai pas pu le sauver.
— Non... Pas Siegfried, non...
— Je suis profondément désolé, monseigneur...

Le regard de Gregor courut dans la pièce, à la recherche d'un point ou s'accrocher, d'un regard amical. Livius ne l'aida pas. Il semblait accueillir la nouvelle avec une froideur maladive, comme coupé de ses sentiments, de ses émotions.

— Pas Siegfried... Non...
— Par un prodige que je ne saurais expliquer, le major Beik est revenu sur Terre. C'est lui qui l'a tué.
— Je ne comprends pas... Non, Siegfried savait se défendre.
— Les Effaceurs ont mis en place un piège subtil. Quand je l'ai compris, c'était trop tard. Je n'ai pu que constater les faits. Et mettre à mort Cyrill.

Gregor sembla chercher son air, de longues secondes. Puis, comme possédé par une force qui le dépassait, un calme surnaturel balaya sa douleur.

— Où est le corps ?
— Disparu. Viltis a voulu le ramener à la vie, mais... Il n'a pas pu.
— Et Viltis ?
— Sa tentative l'a... conduit à se retirer vers un endroit dont je ne connais pas les coordonnées.
— Lui aussi a disparu ? Mais comment ? Pourquoi ?
— Je l'ignore, monseigneur. Tout s'est passé trop vite pour que je puisse tenter quoi que ce soit.
— Sans Viltis... Nous perdons un précieux élément.
— Je crains que cette disparition ne soit que le plus futile détail de cette triste journée, monseigneur.

Gregor hésita à s’asseoir. Même soumis au contrôle des implants, une part en lui, vaincue, n'aspirait qu'à se retirer. Redevenir humain.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:01:37

— Flinn... Que s'est-il passé d'autre ?
— Le combat a eu lieu dans la crypte du temple central.
— Le Dieu-Machine...
— Il s'est tût. Le support physique est totalement arrêté.
— Ce n'est pas possible. Les systèmes de secours sont à toute épreuve.
— Cela n'aura pas suffi. Je pense que... L'attaque des Effaceurs visait en premier lieu le support. En cela, hélas, ils ont réussi monseigneur.
— Les conséquences … Est-ce que vous avez une idée des conséquences ?
— Le Rezo. Il est prêt à s'effondrer.
— Comment peut-il encore seulement tenir ?
— Les relais orbitaux n'ont pas tous été détruit. Le Rezo primaire fonctionne encore, mais la surcharge d'information va contraindre les routeurs quantiques à se mettre hors service. Par sécurité.
— Quelle ironie.

Flinn s'agenouilla, regarda le bureau, puis son ancien mentor.

— Monseigneur, je pense que vous savez quelle décision prendre.
— La Terre... On ne peut pas la sauver. Même les survivants sont condamnés. J'ai vu les données, Flinn. Je ne peux pas faire semblant. Nous devons...

Il s'arrêta un instant, fixant Livius, puis Flinn.

— Nous devons évacuer.

Une boule se serra dans sa gorge. Sa condition de cyborg ne pouvait pas effacer tous les sentiments. Pas celui-ci.

— Colonel Flinn ?

La voix de Livius, assuré, étonna le Naneyë dans un premier temps. La situation catastrophique aurait dû le déstabiliser. Il se souvint alors de Viltis, qui l'avait ramené d’entre les morts, et l'avait, d’une certaine façon éveillée. Livius devait savoir. Livius devait attendre ce moment.

— Oui, Livius ?
— Colonel... L'évacuation serait-elle complexe à mettre en œuvre ?
— Eh bien... Pour être franc, Viltis m'a donné quelques « capacités » avant de partir. Dont celle-ci. A priori, je ne saurais pas dire si je suis en mesure ou non...
— Êtes-vous capable de mener l'évacuation ? Ou bien devons-nous rapatrier tous les vaisseaux restants ?
— Il n'y a plus un seul vaisseau... Et concernant les survivants, pourquoi embarquer des mourants ?
— Comment faire le tri, monseigneur ?
— Aurais-tu une meilleure suggestion ?
— Oui.

Le regard de Gregor s'illumina.

— Je t'en prie, Flinn.
— Je peux évacuer tout le monde, mais il faudra me faire pleinement confiance.
— Naturellement. Néanmoins... La disparition du Dieu-Machine ne signifie pas la disparition de la Confédération.
— Je ne compte pas prendre le pouvoir.
— La succession sera difficile... Nous n'avons pas retrouvé Théodéric, ni Aodh. Ils sont pourtant premiers et second.
— Nous n'aurons pas le temps de les retrouver, monseigneur.

Gregor lança un regard lourd de sens à Flinn.

— Tu préconises de les abandonner ?
— Nous n'avons que quelques heures, monseigneur. Dans une journée tout au plus, la Terre sera inhabitable.
— Cela justifie donc de laisser nos règles et notre honneur ici ?
— Je le crains... Monseigneur. A moins que vous ne souhaitiez prendre vous-même le pouvoir.
— Non. La disparition du Dieu-Machine, du Rezo, des héritiers présomptifs... Si je monte maintenant sur le trône, la Confédération explose.
— Il y a bien un héritier en ligne directe, monseigneur.

Flinn désigna Livius du regard.

— Votre troisième fils.
— Livius ?
— Je serai capable de me montrer digne de cette charge, père.
— Tu n'es pas préparer à cela Livius.

Le jeune homme prit un air hautain, glacial.

— Je suis un officier. J'ai grandi ici. Je connais les forces en jeu dans le pouvoir.
— Nous ne vivrons plus sur Terre, Livius.
— Je m'y suis préparé.

Gregor réfléchit. Livius, comme Flinn pouvait percevoir son hésitation. Une hésitation qui dura de longues minutes, brisée par une seule parole.

— J'accepte, finit-il par répondre, résigné. Mais Livius doit être nommé ici. Sans cela... Je crains que sa légitimité ne soit entachée.

Flinn sourit.

— Une très sage décision, monseigneur. Je vous reconnais bien là.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:02:18

La cérémonie de la passation de pouvoir dura à peines quelques minutes. Les officiers présents furent nommés comme témoin, tandis que Gregor prononçait les paroles rituelles, auxquelles Livius répondait avec aplomb et dignité. Lorsque cette tâche fut accomplie, tous s'agenouillèrent devant le nouveau maître de la Confédération. Livius s'empressa de leur donner pour unique consignes de récupérer tous les supports mémoriels archivés dans le bunker. Personne n'avait osé s'y opposer. Personne n'avait exprimé sa joie. Tous semblaient résignés.

Dans les couloirs, l'ordre et la nouvelle de la nomination se propagèrent comme des traînées de poudre. Là encore, personne ne s'en ému. Les sentiments avaient déserté ce monde. Certains, déjà, avaient remarqués l'affaiblissement du Rezo. Aucune panique, mais une gêne palpable envahissait les conversations, les échanges. Les reliquats se saturaient. Gregor, pensif, observait la situation avec inquiétude.

— Comment sauront-ils...
— Ce ne sera pas nécessaire, monseigneur.
— Mais, l'évacuation... Tu ne peux pas espérer la mener en cinq petites minutes...

Flinn leva un sourcil.

— Le temps n'est qu'une donnée relative. Il ne manquera pas. La seule question qui m'occupe l'esprit concerne les savoirs entreposés dans le bunker.
— Les techniciens pensent qu'il ne faudra pas plus d'une heure. Sachant que l'ordre est parti depuis plus de trois quart d'heure.
— Merci de l'information, monseigneur.
— Je pensais que tu le saurais.

Gregor retint une parole maladroite. L'attitude arrogante et assurée de Flinn le déstabilisait. Plus que jamais, il se sentait dépossédé de son pouvoir. La question de la disparition du Naneyë l'avait déjà effleuré, longtemps auparavant. Elle revenait le hanter avec une douloureuse présence. Ici... Retirer tous les témoins de la pièce ne devait pas être compliqué. Déjà, Livius attendait à l'extérieur. Ses ordres fusaient, il ne remarquerait pas la mise à mort de l'officier. Oui, si rapide...

Un message inopportun vint interrompre sa réflexion.

— Les supports mémoriels ont tous été vidés.
— Plus rapides que prévu.
— Des dégâts ont été identifiés dans certaines aires de stockage.
— Des données sensibles ?
— Impossible de le savoir, Flinn.
— Elles seront exploitables ? C'est important, monseigneur.

Gregor lui lança un regard noir, agressif.

— En quoi ces données sont-elles si importantes ?
— Vous ne voyez pas. Cela n'est pas si étonnant.

Le Naneyë se figea, dans une position d'attente. Il fixait un point lointain, devant lui.

— Ça y est.
— Nous ne savons pas où est Livius. Comment peux-tu...
— Tout est prêt. Nous pouvons partir.

Un portail surgit du néant. Flinn empoigna Gregor, qui hurla, et l'emporta vers une destination que lui seule connaissait.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:02:33

PARTIE VI.

12.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:03:44

Il n'y a plus d'ombre. L'espace d'un instant, deux secteurs s'ouvrent dans le blanc du vide. Deux portes creuses, ovales, où tous transitent. Les milliers de portes n'en forment que deux. Tous se retrouvent, égarés, surpris, en colère, tristes et heureux. Même Gregor, qui ne se remet pas tout à fait du choc, se laisse porté par le flot.
L'Humanité est là, autour de lui. Il s'y bouscule, s'y frotte, s'y jette. Elle disparaît avec soudaineté. Ne reste que lui, et Flinn. Un Flinn étrange, qu'il ne connaît pas, qui a retrouvé son corps entier, sans implant, sans artifice. Nu, il sourit. Comme si tout était une farce. Comme si tout cela n'existait pas.
— Voilà pourquoi, maître, cinq petites minutes m'auraient plus que suffit.
— Où sommes-nous ?
— Hors du temps et de l'espace. Nous ne sommes plus dans la dimension où existe la Terre. Ici, seule la connaissance et l'information demeure.
Gregor soupire. Il sent les artifices de son esprit s'écrouler. Son corps aussi change. Il est vieux, usé, et jeune, viril. Il ne peut plus se réfugier derrière la technologie. Triste, et soulagé à la fois, il regard vers le haut, ne voit rien. Il rit.
— Que s'est-il passé Flinn ?
— J'ai ouvert un passage pour que tous partent. Mais tous ne survivront pas.
— Mais nous, oui.
— C'est exact, maître.
— La... La noosphère, c'est ça ?
— C'est comme ça que vous l’appelez. Notre peuple lui a trouvé un autre nom. Même si les deux sont parfaitement faux dans la situation actuelle.
— Nous ne sommes pas sur Terre.
— Ni dans la Noosphère. Nous sommes entre plusieurs noosphères. A la croisée des mondes, des univers. Tout serait possible.
Une lueur démente vient en Gregor.
— Tout est possible...
— Sauf changer l'Histoire. Le faire serait nous engager dans une voix périlleuse.
— La destruction de la Terre...
— Elle advient, quoi qu'il arrive. Elle doit mourir. C'est le prix à payer pour que l'Homme grandisse.
— Et la Confédération ?
— Plus tard, maître. Bien après vous.
Gregor se fait plus léger, plus trivial. Il veut abandonner. Il sait que cela n'a aucun sens. Il ne maîtrise plus rien. Flinn lui vole les derniers éléments de son pouvoir, son corps lui-même n'existe plus. Il vient de le comprendre. Malaise, vertige, il se sent partir en arrière. Il se rattrape de justesse.
— Dois-je rester ici encore longtemps ?
— Tout dépend du temps que vous souhaitez y passer.
— Je voudrais savoir...
— Nous allons là où une place vous attend.
— La Terre est vraiment perdue ?
— Définitivement, maître. Vous le savez déjà. Me poser la question ne changera rien.
Gregor hoche la tête. Avec peine, il regarde son corps changer, retrouver sa forme habituelle, brutale, presque sauvage. Ses sentiments s'estompent. Le portail se présente à lui, il s'y glisse sans précaution.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:04:48

Le vent froid les cueillit sans aménité. Les trois capes, celles du père, du fils et de l'officier, claquèrent de concert face au vallon qui se déroulait sous leur regard. Un nuage lourd et plein comme un ventre fécond se dirigeait, dans le lointain, vers le creux verdoyant. Aucun bâtiment ne barrait le regard. Des kilomètres et des kilomètres de steppes vierges, qui attendaient d'être foulées.

— Et les autres ?

Gregor se contorsionna, tentant de trouver une trace de la foule des innombrables où, un court instant, il s'était senti mêlé, fondu. A part eux trois, aucune trace d'êtres humains.

Flinn sourit, énigmatique.

— La Cité contient bien assez de place pour tous nous accueillir.
— Combien sommes-nous ?
— Il restait exactement cinq milliards huit cent treize millions deux cent douze mille quarante-trois individus sur Terre. Trois milliards six cent douze million sept cent quatre-vingt-cinq mille vont mourir dans moins de quarante-huit heures. Et les effets des radiations seront estompés. Après... La vieillesse ferra le reste.
— Quelle horreur... Tu as convoyé des morts en sursis ?
— Nous sommes tous des morts en sursis, maître. Nous essayons seulement de l'ignorer.
— Les soins... Comment...
— Tout est préparé pour qu'ils ne souffrent pas. Ils s'endormiront, ne se réveilleront pas. Il n'y aura pas de scène horrible.
— Mais...
— Tout est prévu. Je ne laisserai rien au hasard.

Gregor se tourna vers Flinn, horrifié.

— Tu organises une mise en scène ?
— Vous préférez le sang ? C'est tout à fait envisageable.

Livius, silencieux, intervint avec sobriété.

— Père. S'il te plaît.

Le Commandus Magnus ne répondit pas. Il se contenta d'avancer d'un pas lourd vers le fond du vallon. Livius le fixa, consterné, puis se rapprocha de Flinn.

— Très Saint Magister...
— Colonel... Êtes-vous vraiment obligé d'en arriver là ? Il pourrait simplement... suivre les autres.
— Notre discussions dans la Noosphère n'a rien changé, j'en ai bien peur. Il s'accroche à son pouvoir. Il ne pourra pas accepter les changements à venir.

Livius secoua la tête.

— Quel gâchis. Nous lui devons tout.

Flinn s'avança un peu plus. Gregor semblait perdu dans cet environnement qu'il n'avait plus foulé depuis des années. La nature contrastait avec son aspect mécanique. Le Naneyë s'amusa de la scène.

— Son arrogance l'a tué depuis bien longtemps, Livius. Il a œuvré pour moderniser l'institution, mais cela ne suffira pas à éviter la Diaspora. Des épreuves vous attendent.
— S'il vous plaît, colonel... Pas aujourd'hui.
— Oui, tu as raison. Tout le monde a eu son lot d'épreuve. Un peu de repos.
— Et contacter le Commandus Magnus.
— Dois-je vous accompagner ?

Livius ne put retenir un sourire.

— Je pense qu'il appréciera de revoir son fils.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:06:14

La tour se dressait face à la tempête. La pluie battait aux fenêtres. A peine une averse, qui ne détournait pas Inuë de sa tâche. Plongé dans une profonde concentration, il porta à peine un minimum d'attention à la porte qui livrait passage aux deux visiteurs annoncés quelques minutes avant. Il inclina discrètement la tête face à Livius.

— Très Saint Magister...
— Gouverneur Inuë.
— Mon fils.
— Père.

La tension figeait l'air. Inuë ne lâchait pas du regard l'humain. Une expression d'angoisse passa un court instant sur son visage.

— Le Rezo d'Alioth est en train de s'affaiblir, Très Saint Magister.
— Les cybernautes feront leur possible pour maintenir une couverture décente sur la Cité.
— Cela ne suffira pas. Nous le savons tous.
— Les Conversions ne seront pas assurées. La disparition du Dieu-Machine remet en cause notre fonctionnement.

Des tics nerveux agitaient les babines du gouverneur. Son œil organique s'animait de spasmes irrégulier. Parfois, il grognait.
Flinn détourna le regard. Devoir assister à un spectacle si affreux le remplissait de tristesse. Son père, qui avait vaillamment lutté toute sa vie pour servir la Confédération allait mourir avec elle. Sa survie ne pouvait plus se passer des Conversions. Son encéphale profondément modifié ne supporterait pas de retrouver un rythme biologique trop lent, trop imparfait. Il s'était attendu à devoir affronter cette image, mais il ne le supportait pas.

— Flinn... Ta mission t'appelle. Mon règne ici n'est plus qu'une question de jours, tout au plus.
— Père.
— Le Très Saint Magister sera sans doute favorable à mon départ pour un autre lieu. Là où la Confédération peut encore vivre un peu. Je ne peux pas me laisser mourir. Personne ne le peut.

Livius hocha la tête.

— Nous trouverons un moyen de partir, gouverneur. Je vous en donne ma parole.

Flinn haussa un sourcil.

— Comment en être si sûr ?
— Je l'ai senti, colonel. Et je suis sûr que vous trouverez le moyen.
— Je pourrais aussi essayer de faire régner l'harmonie entre les humains et les Naneyë.

Livius eut un sourire triste.

— Y croyez-vous seulement un instant, colonel ? Est-ce là le futur qui nous attend tous ?
— Dois-je seulement vous livrer la réponse, Très Saint Magister ?

Les deux individus se toisèrent avec respect.

— Vous avez la clef, colonel. Vous savez ce qu'elle implique.
— Cette séparation sera définitive. IL n'y aura plus de retour en arrière possible.
— J'assume ce choix, colonel. Nous devrons vivre séparément.

Flinn eut la vision heureuse d'un avenir dans un vaisseau unique, ultime, surgit du néant, et qui voguerait d'étoiles en étoiles en semant dans son sillage les espoirs d'une nouvelle civilisation. Il savait aussi qu'il n'en serait pas le créateur. Il en était incapable.

— Flinn... Mon départ est inévitable. La prise de pouvoir, TA prise de pouvoir ne saurait tarder.

Le fils s'approcha du père, jusqu'à ce sa bouche se glisse près de l'oreille mise au secret.

— Dois-je donc...
— Tu le sais. Tu refuses de le faire, mais tu le sais. Laisse-moi te dire une chose, mon fils : ne tarde pas. Les conséquences seraient fâcheuses.
— je le sais, père, mais ils ne méritent pas ce sort.
— Personne ne le mérite. Mais leurs vies s'achèvent aujourd'hui.

Flinn se refusa à sonder l'avenir proche. Une inquiétude supplémentaire le hanta.

— Ils sont ici ?
— Tous. Ils attendent mes ordres.
— Vous les avez parqués pour que...
— Tu dois t'occuper d’eux. Maintenant. Je ne te laisse pas le choix.
— Si je refuse ?
— Tu ne refuseras pas. Tu sais ce que l'avenir a réservé pour toi. Et tu le feras.

Au même moment, deux soldats se présentèrent dans le bureau. Inuë les laissa entrer. Il se fendit d'un sourire de circonstance.

— Messieurs, veuillez accompagner le colonel Flinn jusqu'aux appartements que j'ai faits préparer pour lui.

Les deux soldats hochèrent la tête, sans un mot. Flinn, s'avançant, regarda une dernière fois son père. Ils ne se reverraient plus. Tout s'achevait ainsi. Dans la précipitation, le non-dit, la retenue.

Il fixa l’image en lui, comme un trésor précieux, et retenant ses larmes, se dirigea d'un pas vif vers son ouvrage.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:07:54

On frappa pour lui. La porte s'ouvrit, Flinn remarqua les dix paires d'yeux braqués dans sa direction, et évita soigneusement d'entamer la discussion. Il se retourna, hocha discrètement la tête, et les deux soldats le laissèrent entrer, puis verrouillèrent la porte.

— Le fils prodigue est de retour, s'amusa un des mâles. Il se leva, se présenta devant Flinn, hésitant entre un air menaçant ou une position plus humble.
— Je suis, moi aussi, très heureux de te revoir, Sha'an.
— Pour une machine qui marche, tu m'as l'air en pleine forme. Père nous a tous fait venir pour te voir... Drôle de spectacle.
— Si cela t'amuse, Sha'an, alors régales toi.

Le plus lointain de ses frères, en âge comme en distance, se rapprocha. Son pelage perdait sa belle teinte ivoire. Une grisaille étrange couvrait l'un de ses yeux. Un voile aveugle, qui le rendait inamical, hostile. Même son sourire lui apparaissait comme un rictus menaçant.

— Jorgh.
— Flinn. Te voilà de retour parmi nous ?
— Il semblerait, oui.
— Tu as donc amené avec toi toute l'humanité mourante. Charmante attention.
— Ceci... Ne te concerne pas.
— Si, cela me concerne bien un peu. Père est aux portes de la mort. L'as-tu vu ?
— Oui. Il souffre horriblement.
— Il n'a que ce qu'il mérite. Il a voulu frayer avec cette espèce qui a volé son corps. La défaite lui octroie une douce récompense.
— La menace est écarté. Et il est fier d'y avoir contribué. Tout comme moi.
— Oui... Nous avons eu vent de tes exploits. C'est un tour très habile que tu as joué à tout le monde. Hélas, cela ne change rien ici. Quand père mourra...
— Père ne mourra pas.

Jorgh montra ses babines.

— Il lui reste trois jours, pas plus. C'est ce que disent les cybernautes.
— On dirait que cette nouvelle te réjouit.
— N'as-tu pas appris que notre peuple se déchire ? N'as-tu pas vu la menace qui pèse ?
— Père a régné avec justice.
— En négligeant les traditions.
— Parce qu'elles sont stupides.

Jorgh cracha aux pieds de Flinn.

— Tu as bien appris ta leçon, petite machine qui marche... N'oublie pas que sans Père, nous t'aurions mis en pièce.
— Visiblement, cela ne s'est pas passé comme prévue...
— Je ne suis pas stupide, Flinn. Je viens ici t'offrir la paix des braves. Renonce à soutenir les progressistes, et nous t'épargnerons lorsque je régnerai.

Le bruit de dix lames courtes et antiques sortant dans leur fourreau parvint jusqu'à Flinn. Il se concentra, les visualisa, jugea la menace ridicule. Il se mit à rire doucement.

— Vous êtes ridicules, mes frères. Je ne suis pas venu ici pour faire la guerre, ou demander quoi que ce soit.
— Vraiment ?

Sept armes retrouvèrent leur logement. Sept lames qu'aussitôt Flinn changea en poussière. Sept prétendants officiels qui venaient de signer leur arrêt de mort. Mais pas Jorgh, ni Sha'an.

— Vraiment. Je ne veux pas d'histoire avec vous. Dois-je vous rappeler que je n'ai pas choisi de servir la Confédération ? Que Père m'y a conduit de force, en guise de sacrifice, pour qu'Alioth soit préservée ?
— Je ne le savais pas, avoua Jorgh.
— Évidemment. Comment aurais-tu pu le savoir ?
— Père ne...
— Il avait d'autre choses à faire. Mais visiblement, vous n'avez pas fait attention à ça.

Jorgh considéra son cadet, l’œil rond.

— Il t'a... Il t'a manipulé... Nous pensions que tu avais choisi...
— Je n'ai rien choisi. Jamais. Comprends-le bien.
— Quelle horreur...

Les trois dernières lames disparurent, soigneusement rangées. Elles connurent le même sort que les autres. Jorgh ignora le danger. Il se dirigea vers Flinn, l'enlaça.

— Pardonne moi, mon frère...
— Je te pardonne pour ça.

Un bourdonnement, vif, un grésillement, puis la lumière crue et incandescente de la lame de Flinn dépassant du dos de Jorgh. Les autres Naneyë se figèrent d'effroi. Flinn recula d'un pas, l'arme toujours enclenché.

— Mais je ne te pardonne pas ta stupidité. Ni ton manque de clairvoyance. Père vous a tous sauvé, et voilà ce que vous préparez alors qu'il meurt. Vous n'êtes que des bêtes. Des bêtes qui ont goûté au sang. Et qui ne méritent plus de vivre.

L'épée sortit, Jorgh demeura figé, une béance rouge au milieu de lui. Il la regarda, contempla le sang noir qui coulait hors de lui, se répandait au sol. Il aurait dû tomber. Une force étrange le tenait debout.

— J'ai vu des choses que vous ne verrez jamais. J'ai appris des choses que vous n’apprendrez jamais. J'ai acquis un pouvoir dont vous ignorez tout. Voilà la vérité. Voilà ce que la tradition vous a empêché de voir. En êtes-vous donc si satisfait, mes frères ?

Un mouvement commun les aligna comme des poupées, contre un des murs aveugles de la pièce. Flinn se rapprocha, sen silence, puis se planta devant Sha'an.

— Toi non plus, tu n'as jamais rien compris. Tu voulais prendre la place de Jorgh. Comme nous tous. Mais tu es trop faible. Vous êtes trop faibles. C'est pour cela que je dois m'occuper de vous, et non Père.

La lame ionique frappa au ventre, grilla le foie et un poumon. La victime éructa, cloué sur place.

— Tous, ici, vous mourrez aujourd'hui.

Il répéta l'opération huit fois. Huit fois, il laissa son arme trouver sa voie, chirurgicale. Huit fois, il regarda la douleur vivre dans les regards, puis la vie s'éteindre, tandis qu'il contenait les corps comme des objets, plaqués contre le mur.

La dernière victime s'éteignit sans superbe, ni résistance. Il la contempla, puis ricana. Tous faibles. Tous plus incapables les uns que les autres de sentir le pouvoir véritable. Un malaise remplaça la joie de la vue du sang. Il relâcha son étreinte. Tous tombèrent, dans un bruit mou. Il s'assit, essaya de se redonner une contenance en regardant le sang de ses frères se mélanger, imbiber de lourds tapis, formant des rivières grasses.

Il avait refusé de le faire, mais il l'avait fait. Son père avait raison.

Il enclencha son terminal com'. Les deux soldats ouvrirent les portes, il les regarda. Ils ne lui posèrent aucune question, cela le rassura.

— Faites nettoyer mes appartements.
— Bien, mon colonel.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:09:36

La guerre est terminée. Partout, la nuit règne avec la même intensité, la même tonalité de bleu profond, intriguant, qui bouscule la raison et la retourne jusqu'à ce qu'elle ne fasse plus qu'une ronde, une révolution autour du mystère de l'existence.

La guerre est terminée. Ici, impossible de le manquer. Flinn le ressent au plus profond de lui. Son âme toute entière résonne de ce fait inaltérable, entier, qui vient bousculer des décennies d'habitudes. Une onde, pourtant, trouble encore la surface presque lisse, presque plate. Une onde qui vient comme une île à la rencontre d'un navire. Un port hostile qui affiche, à son insu, la promesse d'un repos salvateur.

La guerre est terminée. Il reste trois guerriers. La trahison approche. Il la touche du doigt et...

Il sursauta. La nuit. Elle s'était imposé à lui sans qu'il n'en prenne conscience. Son esprit encore emporté par la vague du voyage revenait, par à coup, dans cette pièce sombre où perlait la lumière d'une lune. Blancs gris et noirs se chamaillaient, ordonnés comme au champ de bataille. Les lignes droites et strictes contrastaient avec le grain des murs. Les fenêtres ouvertes à la sombre évidence concurrençaient les maigres veilleuses de plusieurs projecteurs holos. Spectacle triste, affligeant, qui arrache à Flinn un grognement.

— Debout.

Le filet de voix résonnait presque dans le vide des appartements. Il ne pouvait s'empêcher de la trouver confondante de candeur, de naïveté. Il ne chercha même pas activer les logiciels de reconnaissance, ni à détecter le type d'arme qui est braqué contre son crâne. Tout ceci n'était que trop familier. Comme une scène déjà vécue. Trop longtemps attendue.

Flinn obéit. Il se redressa de toute sa hauteur. L'arme n'était plus à l'horizontal, mais décrivait un angle obtus, la main de son visiteur du soir plus basse que son menton.

— Vous savez que c'est ridicule... Si je déclenche une alarme.
— Tous les systèmes sont désactivés.
— Oui... Évidemment... Où ai-je la tête ?
— Bientôt en dehors de tes épaules. Si tu ne fais pas exactement ce que je te dis.

L'arme possédait un canon. Il tomba en cendre. Une lame ionique surgit, elle se désactiva en une fraction de seconde. Exaspéré, Flinn figea l'ennemi. Seul son visage échappait à cette peine physique.

— Maître... La guerre est finie.
— Alioth... Alioth ne doit pas quitter la Confédération.
— Tout ceci est entendu depuis des jours, maître. Livius et moi-même avons signé des traités de non-agression, en plus de la déclaration mutuelle d'indépendance. Quant à la Confédération... Je suis désolé de vous l'apprendre maître, mais elle n'existe plus. Officiellement depuis quelques heures.
— Mensonge... Tu nous as tous trahi.

Flinn secoua la tête.

— Il regrettable que cette maudite maladie mentale qui traîne dans les rangs de la famille Mac Mordan vienne vous accabler. Finalement... Vous êtes comme père : totalement accroc au Rezo.
— Le pouvoir...
— Taisez-vous. N'y songez même plus. Tout ceci vous échappe maintenant. Votre rôle est terminé, Gregor Mac Mordan.

Il vint apposer une main sur le front de l'homme qui, d'une manière étrange et inquiétante, ressemblait à un vieillard sénile. Les traits déformés avaient perdu leur superbe, l'effet des traitements rajeunissants disparus, révélant à Flinn la face sombre qu'il avait entraperçu avant, et qui se révélait alors.
Il secoua la tête.

— Je suis triste pour vous, maître. Sincèrement. Vous ne méritiez pas de connaître un tel sort.
— Je reprendrai le pouvoir de tes mains... Et de celles de Livius... Espèce d'assassin.
— C'est terminé, maître.

La bascule est brutale, comme toujours. Il ne reste plus rien de la réalité, hormis le souvenir douloureux de Gregor, lorsqu'il bascule de la vie civile à celle qui le mène à sa propre mécanisation. Flinn ressent la douleur. Il entrevoit la folie chez le jeune homme. Il ne peut que constater, sans aider. Toute la scène peut basculer dans l'horreur et le délire. Tout est possible.
— Aidez-moi...
La mutilation n'est qu'un détail. Une erreur, presque une faute, tant elle est grossière. Flinn ne comprend pas ce qui a transformé le jeune étudiant pétri d'idéaux en cette figure sombre, qui bascule, qui le menace en sachant pertinemment qu'elle ne peut gagner. Il n'y a rien à gagner, puisque la guerre est terminée.
— Maître...
La pensée balaye la pensée. Le souvenir reflue, avec la colère et la souffrance. L'homme mutilé ne crie plus, ne pleure plus. Il patiente. Son père, bientôt, arrivera. Il s'y refuse encore. Flinn l’apaise, lui offre le bras rédempteur qui vient effacer la douleur.
— C'est terminé, maître.
Gregor hoche la tête, le regard rempli d'espoir. Sa conscience lavée est prête à renaître.

— La cérémonie de départ est dans quelques heures.
— Flinn ?

Gregor regarda autour de lui, surprit.

— Que fais-je dans tes appartements ? Je ne me souviens plus...
— Ce n'est pas grave maître. Un détail.
— Pourquoi …
— Vous vouliez un document. Il n'est pas ici. Nous verrons cela demain.

Hagard, le vieil homme hocha la tête. Il grommela, salua à peine Flinn, et sorti.

« Tout est accompli ».

Il se rallongea, et, jusqu'au matin, fixa le plafond sans étoiles.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:10:32

La pluie cessait doucement de tomber. Le brouillard dévoilait l'herbe verdoyante, qui s'étalait à perte de vue. Pas un arbre, pas un buisson ne masquait l'étendue plane et vallonnée qui s'offrait au regard. Un seul objet venait contredire cette surface. Un assemblage de volutes et de dents, de cônes, de piques, de creux et de valons, qui montaient vers le ciel avec délicatesse, tranchant le gris d'un blanc pur, éternel. Ni fenêtre ni sas, simplement des ouvertures multiples, auprès desquels commençaient à s'accumuler une foule nombreuse et compacte. Curieusement, aucun mouvement superflu n'animait la foule. Au contraire, on pouvait entendre les rires, les voix apaisées, remplies d'espoirs, qui serpentaient dans la plaine, depuis la Cité.

— Un murex.
— Agrandi des milliers de fois.

Flinn et Inuë ne pouvaient se détacher de l'objet. Une fascination morbide les animait. Il fallut que l'ancien gouverneur tape sur l'épaule de son fils pour le sortir de sa rêverie.

— J'espère qu'il sait ce qu'il fait.
— Ne t'en fais pas, père. Viltis a toujours eu une longueur d'avance sur nous.
— Arrivera-t-il à bon port ?

Flinn sourit. Il se détourna vers son père.

— Vous devriez avoir confiance, sans même avoir à vous poser une seule question.
— Même si je n'ai pas le choix, je garde encore ma lucidité.

Une vibration basse, sortie de la terre, inonda la steppe.

— Qu'est-ce a que c'était ?
— L'heure, bientôt. Parce que Viltis, non content de vous offrir ce beau vaisseau rempli jusqu'à la gueule de tout ce dont vous aurez besoin, a sans doute jugé de bon goût de lui donner... la vie.

Inuë tordit la bouche, intrigué.

— La vie ? Cette chose ?
— Vivante. C'est un être vivant. Qui pense. Votre hôte.

Inuë secoua la tête.

— Tout ira bien, père.
— J'espère bien. Et... Et nous ?

Flinn ne répondit pas, et porta son regard au loin. La foule ne cessait de s'étirer. Il lui sembla un instant qu'elle ne rentrerait jamais dans la construction qui dépassait en taille toutes les proportions de la Cité.

— Nous, père... Nous resterons à jamais liés.
— Je ne parle pas d'amour, Flinn. Et tu le sais.
— Dois-je seulement y répondre ?
— Peut-être.
— Peut-être, oui, père.

La réaction d'Inuë le submergea, il ne s'y attendait pas. L'étreinte vive et émotive du vieux Naneyë le secoua profondément, toucha la partie la plus enfouie de son âme, et fit remonter un flot d'émotions fortes, qui menacèrent de le faire vaciller.

— Personne ne nous enlèvera ça, Flinn. Personne, murmura Inuë.
— Père...

L'ancien gouverneur se détacha, fit demi-tour sans même un regard, laissant Flinn vidé, presque anéanti. Il se retint de courir après ce père qu'il finissait par aimer au pire moment, le cœur débordant de reconnaissance et de fierté, et qui acceptait la douleur de la séparation. La grandeur de son âme n'égalait que son pas digne, sa tête haute, vissée vers le lointain, dans ce vaisseau-coquillage voué à un avenir grandiose.

— Il ira bien. Je m'y engage.
— Très Saint Magister...
— Ne m’appelez plus comme cela, colonel. J'ai horreur des titres pompeux.
— Je sais que la Confédération est morte, mais n'est-ce pas encore... un honneur que l'on vous doit ?

Livius fit la moue.

— Je préfère la simplicité. J'espère qu'ils finiront par le comprendre.
— Vous aurez tout le temps de discuter avec les têtes pensantes.
— D'agréables soirées en perspectives.

Ils se regardèrent, éclatèrent de rire. Puis, retrouvant son calme, Livius posa une main sur l'épaule de Flinn.

— Servir à vos côtés fut un grand honneur, colonel.
— Aux tiens également, Livius.
— Ne plus vous avoir à portée de main va nous créer un grand vide.
— Avec toi aux commandes, je ne me fais aucun souci.
— Quand même...

Flinn sourit, porta à son tour une main sur l'épaule de l'homme.

— Je ne l'ai pas dit à mon père mais... Nous nous reverrons. Les liens ne seront jamais vraiment rompus. Ils ne peuvent plus l'être.
— Nous deux...
— Nos deux peuples nous laisserons tranquille. Un jour, Livius. Ce ne sera qu'une question de temps.
— Du temps... Ça, oui, il en faudra bien.
— Il y en aura toujours assez.

A nouveau, le vaisseau retentit de son cri sourd. Livius s'éloigna, se retourna une dernière fois.

Flinn, déjà, semblait regarder ailleurs.

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:10:52

ÉPILOGUE

--crazymarty--
Niveau 10
15 septembre 2017 à 00:11:31

Je ne suis ni temps, ni espace. Je suis la liberté du mouvement, infini, absolu, toujours libre de tout, enchaîné à sa propre existence. Je suis la Vie sans la vie. Je suis obscure et lumière... Je voyage. J’attends. Je transmets. J'observe. J'observe et je les vois. Eux aussi, me voient. Ils semblent sourire. Ils n'ont pourtant pas de bouche. Ils sont Effaceurs. Ils sont Hommes, avant tout. Hommes du renouveau, plaqué dans le futur, tout contre la voûte céleste. Ils me craignent. Je suis leur futur, leur destruction.

— Revenir ?
— Oui. Bientôt.
— La Terre ?
— Vous n'en êtes jamais vraiment partis.

Leurs esprits soufflent, craignent. Mais je vois en eux. J'observe. Ils sont la Vie sans la Vie.

Ils reprendront, bientôt, le voyage.

Sujet : [SF][Roman] Vertige Stellaire
News culture
La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume - la révolution simienne est en marche !
   Retour haut de page
Consulter la version web de cette page