Ginny et Hermione s’amusèrent beaucoup à faire danser leurs petits amis sur les musiques très entraînantes des Bizarr’Sister, qu’une radio magique posée sur un fauteuil, le son réglé au maximum, diffusait aléatoirement.
A une heure du matin, cependant, une McGonagall furieuse entra dans la salle commune et les obligea à tout arrêter. Elle passa un bon quart d’heure à rappeler dans un sermon sévère leurs devoirs au préfèt et à la préfète de Gryffondor, ainsi qu’à Hermione qui, étonamment, avait visiblement oublié qu’elle était encore préfète-en-chef jusqu’au 30 juin. Honteuse, Hermione rejoignit ensuite directement son dortoir, sans même embrasser Ron qui parut un peu déçu.
Les jours suivants, Harry les passa à se détendre et à s’amuser en compagnie de ses amis ou camarades de Gryffondor – ainsi que certaines connaissances des autres maisons, comme Luna Lovegood ou Ernie Macmillan. Il pouvait également passer du temps avec Ginny, dans le parc ensoleillé ou dans le château. Il ne restait plus qu’une dizaine de jours à passer à Poudlard – le week-end, la semaine suivante, encore un lundi puis, le mardi 30 juin au matin, ils prendraient tous la poudre de Cheminette pour rentrer chez eux.
Harry profitait de cette période libre de devoirs et de missions concernant les Horcruxes pour profiter pleinement de la vie, avant de prendre la dernière ligne droite qui menait à l’objectif qu’il s’était fixé un an plus tôt. Malgré le vague pressentiment qu’il avait eu dans la grotte, il avait la certitude absolue que d’une part, les six « objets » qui avaient été trouvés – le journal intime, la bague, le portrait du médaillon, la coupe, le serpent et le Saint Graal – avaient bien été des Horcruxes, et d’autre part, que les parcelles de l’âme de Voldemort qu’avaient contenues ces Horcruxes avaient été totalement anéanties. Voldemort était donc mortel… Et dès qu’il quitterait Poudlard, Harry partirait en quête de la dernière pièce du puzzle. Il irait trouver Voldemort et il l’affronterait pour la toute dernière fois…
Il ne pouvait pas dire qu’il avait peur – et pourtant, il n’aurait pas osé prétendre le contraire non plus. Une chose était certaine, il s’était suffisamment préparé. Il ne pensait pas pouvoir faire mieux, à moins de subir un entraînement encore plus intensif en duel, un très long entraînement à la fin duquel Voldemort aurait déjà trop pourri le monde des sorciers et des Moldus pour qu’il vaille la peine de l’éliminer… « Il faudra une habileté et un pouvoir hors du commun pour parvenir à tuer un sorcier tel que Voldemort », avait dit Dumbledore. Le pouvoir, Harry pensait sincèrement l’avoir. Il l’avait même toujours eu, il n’avait simplement compris que très récemment comment on utilisait l’amour pour se battre. Et pour ce qui était de l’habileté… il en avait, c’était certain. Et il savait qu’en duel, il aurait pu battre à plate couture à peu près n’importe quel élève de Poudlard. Mais serait-ce suffisant face à Lord Voldemort ?…
Plusieurs fois, il se força à chasser ses doutes de son esprit. S’il échouait après avoir donné tout ce qu’il avait maintenant et, bien entendu, après avoir effacé toute acceptation de l’échec de son esprit jusqu’à ce qu’il soit totalement vaincu – c’est-à-dire mort et enterré –, il ne pourrait pas s’en vouloir. Et il savait au plus profond de lui-même qu’il devait se lancer maintenant, car après il serait trop tard.
La Gazette du Sorcier continuait inlassablement de rapporter tous les événements de l’extérieur, et la moitié des faits énoncés avaient un rapport avec des crimes commis par les Mangemorts : cela pouvait parler de gens soumis à l’Imperium, ou qui avaient subi le Doloris, mais il s’agissait la plupart du temps de meurtres. En deux ans à peine, le nombre de morts et de disparitions approchait d’une façon à la fois dangereuse et sinistre le triste record qui avait mis onze longues années à se construire dans la terreur, lors de la première guerre. Et la terreur actuelle qui régnait à l’extérieur, et qu’ils allaient très bientôt tous retrouver, avait de très loin dépassé celle que Voldemort avait pu inspirer, près de dix-sept ans auparavant.
Samedi soir, Harry s’attendait donc, comme tout le monde, à voir des centaines de hiboux arriver, apportant comme d’habitude des nouvelles de leur maison à ceux qui avaient encore une famille – entière ou non –, et les habituels numéros de divers journaux, comme le Sorcier du soir. Mais à la surprise générale, strictement aucun courrier n’arriva de toute la soirée, et ce pour aucun élève de Poudlard assis dans la Grande Salle. Et, hormis les quelques oiseaux venus pour chercher quelques caresses ou pour picorer un peu le dîner de leur maître – comme Hedwige et Coquecigrue –, aucun hibou ne vint troubler la vision du plafond magique, qui renvoyait ce soir-là l’image d’un ciel sans nuage et constellé d’étoiles très brillantes.
A la fin du dîner, Harry vit les professeurs chuchoter entre eux, l’air très préoccupé. Les élèves aussi se mirent à murmurer d’un ton angoissé, lorsqu’à dix heures le lendemain, ils n’aperçurent toujours aucune trace de courrier, que ce soit dans le ciel ou sur les tables voisines.
– Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? finit par demander Ron d’une voix anxieuse. C’est comme si…
Mais il s’interrompit. Hermione acheva à sa place, l’air songeur :
– C’est comme si Voldemort avait pris le pouvoir…
– Impossible, dit aussitôt Harry. On le saurait si…
– Pas forcément, coupa Hermione. Mais, à moins que toute la population ait été décimée hier soir, ou que tous les parents d’élèves se soient mis d’accord en même temps pour ne plus écrire à leurs enfants, je dirais que la seule explication, c’est que le courrier est bloqué par une institution importante – une institution qui en a tout le pouvoir.
– Tu penses au ministère de la magie ? demanda Ginny, qui prenait son petit déjeuner avec un groupe d’amis assis à côté d’eux.
– Oui, répondit Hermione, soucieuse. Mais je ne vois pas pourquoi Scrimgeour bloquerait le courrier.
– Il a peut-être fait une grosse bêtise et il veut étouffer l’affaire, suggéra Colin Crivey.
– Mais Scrimgeour n’est quand même pas un tyran, rappela Hermione, les sourcils froncés. Il ne s’amuserait pas à troubler le bon fonctionnement de la société, surtout en ce moment… Pour moi, la seule explication, ce serait que Voldemort se soit emparé des moyens dont dispose le ministère de la magie. Et pour ça, il faudrait que…
– Que le ministère de la magie ait été pris par son armée, tout comme Pré-au-Lard, Azkaban et l’Allée des Embrumes…, marmonna lentement Harry.
Hermione hocha sombrement la tête.
– Mais Voldemort pourrait bien avoir trouvé seul le moyen de bloquer le courrier, non ? objecta Ginny. Ça ne doit pas être bien difficile, pour lui, avec tout le pouvoir qu’il a pris ces derniers temps…
– Non, c’est vrai, admit Hermione, songeuse. Tu as raison… En tout cas, tout ça ne me dit rien qui vaille…
Dépité, Harry leva la tête et observa les visages inquiets des autres élèves, aux autres tables. Et soudain, pendant une fraction de seconde, il crut croiser le regard de Théodore Nott. Mais ce dernier se tourna aussitôt pour entrer en grande conversation avec Blaise Zabini. Harry n’avait pas eu le temps de voir ce qu’avaient exprimé les yeux de Nott mais, au-delà de toute logique, il avait la certitude que cela lui aurait très fortement déplu ; et cela lui donnait un très mauvais pressentiment…
Le midi et le soir, le même phénomène se répéta et, après le dîner, la nervosité ambiante devint quasi palpable. En sortant de la Grande Salle, c’est d’un pas empressé que Harry, Ron, Hermione et Neville grimpèrent au septième étage pour assister à la réunion de l’Ordre du Phénix qui avait lieu chaque dimanche.
Mais ils ne trouvèrent personne dans la Salle sur Demande. Ils s’installèrent, anxieux. Dix minutes plus tard, le professeur McGonagall entra et claqua la porte derrière elle. Puis elle s’installa en face de ses trois élèves et dit d’un ton un peu crispé :
– Bien, nous pouvons commencer la réunion.
Un silence de mort accueillit ces paroles.
– Mais…, bredouilla Hermione, professeur… Les autres…
– … ne viendront pas, Hermione, l’interrompit McGonagall d’un ton sec, avant d’annoncer plus gravement :
– Depuis hier après-midi, vers quatre heures environ, nous avons perdu tout contact avec l’extérieur et, d’après les dernières informations que j’ai pu récolter à ce moment-là, ce n’est pas en passe de s’arranger.
– Tu avais raison, Hermione…, dit Ron d’une voix blanche à l’adresse de sa petite amie, après un instant de mutisme.
– Qu’allons-nous faire, professeur ? demanda Harry d’une voix tendue. Qu’est-ce que vous comptez faire… pour Poudlard ?
– Je vous ai déjà dit, Harry, que Poudlard dispose de quoi faire face au danger, répliqua McGonagall. Et Poudlard est désormais sujette à une menace majeure, ajouta-t-elle très sérieusement. Il est bien possible que cet endroit représente la dernière grande place magique du Royaume-Uni sur laquelle Vous-Savez-Qui n’a pas encore pris le pouvoir. Nous risquons donc de subir une attaque de grande ampleur d’ici peu de temps ; je dirai même une attaque de force majeure, même comparée à celles de Pré-au-Lard et d’Azkaban, étant donné que Vous-Savez-Qui peut désormais se permettre de concentrer toute la force de son armée sur nous. Heureusement, ils ne pourront pas transpercer la protection magique qui agit partout à l’intérieur de l’enceinte de Poudlard avant très longtemps – nous avons donc encore des semaines, voire des mois devant nous, si nous avons de la chance, les rassura-t-elle.
– Alors… que comptez-vous faire, professeur ? Vous avez déjà un plan ou vous pensiez en concevoir un avec nous ce soir ? interrogea timidement Hermione.
Harry, Ron et Neville la regardèrent, avant de se tourner de nouveau vers le professeur McGonagall, attendant résolument sa réponse.
– Pour l’instant, je pense que le mieux est d’attendre mardi matin avant d’annoncer quoi que ce soit aux autres élèves, déclara la directrice sur un ton convaincu. Demain soir, nous décernerons la Coupe des Quatre Maisons – je vous rappelle qu’elle n’a plus été remise depuis déjà quatre ans. Nous allons terminer l’année scolaire et nous aviserons à ce moment-là. D’ici là, ni Vous-Savez-Qui, ni ses Mangemorts, ni aucune de leurs créatures ne pourront nous faire aucun mal, assura-t-elle.
Harry, Ron, Hermione et Neville hochèrent lentement la tête, dans un geste très contracté.
– En attendant, essayez de profiter encore un peu du début de vos vacances d’été, suggéra McGonagall dans un soupir plein de lassitude. Je déclare cette réunion de l’Ordre du Phénix… terminée.
Le lendemain, Harry, Ron, Hermione, Neville et Ginny passèrent la journée à enchaîner très mollement les parties d’échecs, siestes au bord du lac, et discussions sur le Quidditch – cette dernière occupation fut particulièrement pénible pour Hermione. Ils ne parvevaient pas à chasser de leur esprit la pensée que Voldemort avait peut-être pris tout pouvoir, en dehors de l’école, ni que ses yeux rouges devaient maintenant être rivés sur Poudlard, sa prochaine cible.
Bien entendu, la veille au soir, avant de se coucher, Harry avait répété à Ginny tout ce qui avait été dit au cours de la plus courte réunion de l’Ordre du Phénix à laquelle il ait jamais participé. Et maintenant, ils restaient tous les cinq ensemble, partageant secrètement de quoi confirmer les inquiétudes des autres élèves, dont les murmures tendus semblaient remplir chaque couloir – secret ou non – et même chaque espace du château.
Harry se doutait que Ron et Ginny, bien que silencieux, se faisaient énormément de souci pour Bill, Fleur, Fred et George – voire pour Percy, sachant qu’il travaillait au ministère de la magie. Heureusement, en principe, Charlie devait toujours se trouver en Roumanie. Mais Harry, lui, s’inquiétait beaucoup du sort de Ste Mangouste. Et si l’hôpital était lui aussi tombé sous l’emprise de Voldemort ? Et si tous ceux qui avaient pu réchapper de justesse aux attaques des Mangemorts avaient été tués ? Mrs Weasley, à laquelle ils n’avaient pas rendu visite depuis un certain temps déjà, s’y trouvait toujours ; et elle restait incapable de se défendre, vu son état mental, qui s’était tout juste amélioré récemment. Dans les dernières lettres qu’il avait pu envoyer, Bill avait indiqué que sa mère se nourissait d’elle-même à présent, et avait même un peu commencé à parler, malgré le fait qu’elle ne reconnaisse toujours aucun membre de sa famille… Et bien entendu, Neville devait également se faire un sang d’encre pour sa grand-mère.
En observant les visages angoissés des autres élèves, Harry finit par remarquer – non sans surprise – que ceux qui avaient sans doute l’air le plus mal à l’aise, c’étaient les Serpentard. La seule et unique personne à afficher un visage parfaitement détendu était Théodore Nott. Ce dernier arpentait les couloirs du château d’un pas nonchalant, en esquissant sans cesse un sourire narquois et insupportable…