Episode 9
Nous sommes tous un peu pareils. Avant une échéance, un événement, on se fait ses propres scénarii sur comment cela va se passer. On imagine les choses que l’on va faire et dire. Et puis, lorsque ce jour arrive, rien ne se passe vraiment comme on l’a imaginé. En ce mois de mai 2012, il fait frisquet à Barcelone. Mais si je tremble en arrivant au circuit, ce n’est pas de froid, mais de peur. Même pour mon premier Grand Prix à Bahrein, j’étais beaucoup moins stressé. En fait, je crois que c’est la première fois de ma vie que je me réjouis qu’un week-end de course soit passé. Je suis en Espagne depuis 5 heures et je ne cesse de scruter l’horizon, de regarder à droite à gauche si je ne vois pas Anna, Julian, Enrique ou d’autres personnes que je connais.
Sophie sent bien que je suis crispé, elle me tient la main plus fort que d’habitude. Je stresse aussi pour nous deux, cela va faire trois semaines que nous n’avons plus eu d’autres partenaires, je crois que nous sommes prêts à nous mettre en couple…si l’on passe ce week-end sans embuches.
Mon jeudi fut calme en définitive, comme si cet endroit était anodin, comme si ce Grand Prix n’était qu’un rendez-vous de plus dans le calendrier. Le seul souci fut en début de soirée, lorsqu’un petit groupe de supporters catalan m’a insulté de noms d’oiseaux…visiblement mon image de traitre en Catalogne est toujours bien présente. Confirmation plus impressionnante le lendemain, d’après Mike, Sophie et toute l’équipe, à chaque passage de ma RedBull devant les tribunes, une partie de la foule siffle et me hue. Il y a même un panneau où l’on voit ma tête et celle d’Alonso et, pour résumé, il est dit que nous sommes des traites et que nous ne sommes pas les bienvenus ici.
Une fois dans l’habitacle, j’arrive, heureusement, à faire abstraction de cette hostilité locale. J’ai un autre défi à relever, je dois me prouver à moi-même que je peux gagner sur ce circuit où je ne suis pas performant du tout ! Mon premier temps est de 1.26.119, je suis seulement 19ème. Ensuite 1.24.834, P11. Mon premier temps significatif est de 1.23.480, 4ème provisoirement avant que Vettel ne se mette juste devant moi.
Après une pause, je repars à l’assaut du chrono. 1.23.319 pour le sixième temps provisoire maintenant, dans mon tour, j’ai été gêné par Button. Barcelona, c’est un circuit, je l’ai appris l’année passée, où il faut il pilotage agressif pour claquer un temps, c’est tout le contraire de Monaco ou de Sepang, par exemple. Or, pour être agressif, il faut d’abord que je tourne pour prendre confiance. Ce n’est donc qu’en fin de séance que je trouve la formule. 1.22.878, meilleur temps des essais libres ! Je suis le seul à passer sous les 1.23.000. Alonso est second à 0.126, Vettel est 6ème à 0.233, c’est très très serré de nouveau ! Il va falloir batailler dur pour être en Pole Position demain, à moins que…
À moins qu’un élément ne vienne corser ou faciliter les choses selon les points vues. Samedi, 12h55, 5 minutes avant le début de la séance qualificatives, la pluie s’invite à la partie. Ici, c’est pas comme en Belgique, il pleut pas souvent, mais quand il pleut, il faut pas s’attendre à du crachin !
A peine la Pit-Lane ouverte, je prends la route, mais alors que Sebastian et les autres pilotes chaussent les pneus Intermédiaires, je dis à Mike : « Dis aux mécanos de me mettre les Options ». N’importe qui dans l’écurie aurait bondi en lui annonçant ça, mais pas Mike. Lui, il me connait, il sait que je sais ce que je fais et il ne bronche pas, il me regarde avec un petit sourire amusé. Il sait que je tente un coup de poker et dans son fort intérieur, il sait déjà que je vais aller chercher la Pole Position.
La piste est déjà humide, mais je peux tenir la route assez aisément grâce à mon gout pour la glisse et mon expérience du Rallye. Je fais un temps d’1.25.820. Je veux enchainer avec un deuxième tour pour être sûr, mais il est déjà trop tard la piste est trempée et après 4 virages, je pars en toupie et ce plusieurs fois sur le tour pour rentrer aux stands. Je fais un dernier tête à queue dans la dernière chicane et Hamilton vient casser son aileron sur moi. Sans grande conséquence pour lui, puisqu’il sera 3ème demain.
Ce seul tour m’assure la Pole Position pour 0.9 d’avance sur Alonso, mon pari est gagné. Cette première ligne ne plait pas du tout aux locaux qui huent tant qu’ils peuvent le résultat de ces qualifications. De mon côté, j’essaye de ne pas trop penser à ça, je me concentre tant bien que mal sur mon boulot et je suis assez fier du mauvais tour que je viens de jouer à mes 23 camarades. D’ailleurs Christian Horner est très content aussi. Il me confie qu’il m’a pris pour un fou et qu’il a pesté contre moi quand il m’a vu prendre la piste en Slick. Il sait qu’il a recruté un très bon pilote, et pourtant, il ne cesse de s’étonner de voir tout ce que je peux faire.
Sophie et moi, nous sommes mis d’accord, il vaut mieux tant pour elle que pour moi, que nous ne nous affichions pas trop en public ce week-end. Je préfère ne pas donner le bâton à nos détracteurs pour qu’ils nous tapent encore plus. Ce week-end ne se passe pas trop mal pour finir, même si rien de ce que j’avais imaginé ne s’est passé. A cet instant, je suis persuadé que tout va très bien se passer si je fais abstraction des journalistes et supporters catalans.