J'ai terminé récemment Pageboy d'Elliot Page et c'était fort bien. Je le suis depuis Juno et ça m'a bien plu d'en savoir un peu plus sur sa vie et ses pensées (jamais très enchantées malheureusement).
Le 29 août 2024 à 08:00:12 :
Finito A vau-l'eau de Huysmans, dont je ne me souviens plus si je l'avais tapé ou non à la grande époque de marathonisme des années 1870 / 80 / 90.J'ai bien aimé, c'est très typique du Huysmans de l'époque du doute, parti du naturalisme médanien mais pas encore sombrant dans sa pâteuse et lourdaude mystique catho illisible. Ca doit être un de ces rares auteurs dont je préfère l'indécision artistique.
C'est une nouvelle assez typique de ces réalismes-là, sur un employé de bureau médiocre qui ne sait tirer presque aucun plaisir de sa vie, et qui nous invite à réfléchir au malaise existentiel d'une classe moyenne qui est, déjà en 1882, bien installé dans certaines consciences. La contemporanéité forte de ce thème en 2024 rend le bouquin super intéressant à claquer, d'autant plus en fait quand on le compare à tout un discours destiné à des plus ou moins vieux garçons : le personnage souffre de son célibat involontaire (clin d'oeil clin d'oeil), et il se dit qu'il va devoir utiliser certains expédients ou faire un certain travail sur lui pour s'en sortir en cassant sa routine, sa BOUCLE
C'est un pur topic JVC cette nouvelle sans déconner, on a tout, jusqu'à la visite décevante à l'escort et à la complainte des rues de Paris trop, je cite, "américanisées" - s'il avait vu Starbucks le pauvre.
Sinon, ça met la pile du cul aux dents à tout Houellebecq qui a passé sa vie à essayer de refaire en moins bien et en plus vulgos ce que Huysmans sait montrer en trente pages (j'ai pas vérifié, c'est court) avec un peu de comique grinçant çà et là.
Bref ça n'apporte pas grand chose à qui connaît déjà un peu la période et ses délires, mais c'est une lecture brève toujours super sympa à taper. Il y a un plagiat par anticipation de Proust notable, quand le personnage a une perception vive des souvenirs sensoriels des tartines de sa grand-mère au théâtre.
Tout ça m'intéresse énormément
Finito le Misopogon, un discours de Julien l'Apostat adressé à la population d'Antioche qu'il abandonne pour aller guerroyer contre les Perses (une plutôt mauvaise idée, dans la mesure où il va y claquer).
C'est un discours surprenant ; il prend le plis quasiment tout le long de faire mine de se critiquer lui-même, de se dénoncer pour sa sottise (qui est en fait son laxisme) à reprocher aux habitants leur liberté (qui désigne en fait leurs vices).
On retrouve des techniques assez classiques de la rhétorique grecque mais qui sont complètement retournées dans un effort d'antiphrase sarcastique constant, ton assez surprenant chez un autocrate concentrant la puissance maximale de l'état.
Il y a un côté presque seumard et prof / daron déçu parfois.
C'était pour le boulot mais j'ai bien aimé. Globalement, c'est un personnage (dont j'ai déjà lu les lettres et des morceaux de traités) qui m'intéresse beaucoup, lettré appelé à la politique presque par hasard et ne le vivant pas forcément très bien.
Je commence la condition humaine de Malraux. Ça va être l'occasion de m'intéresser à l'histoire de l'Indochine. Je vais essayer de creuser avec un docu en parallèle. Mon grand père s'y est battu de surcroît. Apparemment, les conscrits de métropole n'étaient pas appelés car trop loin pour être déployés mais comme lui était à la Réunion, donc géographiquement "proche", on l'a appelé avec la Légion étrangère.
Le lion de Macédoine tome 2 : La Mort des Nations
Le monde à la première personne (Francis Wolff).
J'ai fini Soie de Baricco, 120 pages avec tout dedans, aventure, poésie, amour, ruralité. J'avais peur du surcotage mais non il est vraiment bon.
Le 01 septembre 2024 à 13:27:32 :
Le lion de Macédoine tome 2 : La Mort des Nations
T'aime ? Gemmell est un de mes auteurs préférés j'ai quasi tout ces livres
Celui là j'ai beaucoup aimé le début mais après ça part un peu dans tout les sens, c'est dommage ça avait le potentiel d'un "Troie" qui est pour moi sans doute son meilleur livre (en intégral)
Sinon je lis les maîtres enlumineurs que j'ai pris à la bibli, c'est sans plus pour l'instant, j'ai surtout envie d'acheter les 3 tomes de Conan je suis en manque de fantasy à l'ancienne
Je vais débuter L' écriture du monde (François Taillandier), premier tome d'une trilogie. Si j'accroche, cela m'encouragera à m'intéresser aux 5 tomes de La grande intrigue du même auteur que j'ai mis de côté depuis un bon moment déjà.
Je commence Fahrenheit 451. Trouvé dans une boîte à livres. Ça m'a vraiment étonné de trouver un bouquin de ma liste. Il n'y a que des livres rincés dedans d'habitude.
Le 27 août 2024 à 09:22:28 :
Finito Histoire d'une prostituée, un témoignage paru en plusieurs morceaux dans les Temps Modernes période Beauvoir / Sartre.C'est un texte intéressant dans le sens où au fur et à mesure de ses éditions parfois pirates, il a parfois été vendu comme un document sociologique intéressant et parfois comme un morceau de pornographie à peine déguisée à l'odeur de souffre.
Je suis assez nettement plus team première option et je trouve le titre assez mauvais, dans le sens où si le livre traite beaucoup de la prostitution et surtout de ses différentes formes - avec des cas très gris où on pourrait se demander si le fait d'entretenir une "copine" serait qualifié aujourd'hui comme du travail du sexe -, il évoque beaucoup ce que c'est que de devoir gérer ses ressources et ses capitaux, sous toutes leurs formes, durant une période de crise, puisque le témoignage évoque essentiellement les années 30 / la guerre / son après.
C'est un bouquin argotique et provoquant, qui présente une image des Allemands et des Américains bien différentes de ce que notre historiographie de la culture aura retenu, mais c'est loin d'être inintéressant et ça m'a fait beaucoup penser aux espoirs d'un certain cinéma, soviétique d'abord, puis européen et américain ensuite, d'essayer de saisir du réel en captation directe et brute.
L'auteur c'est Clara-Dupont Mono ? Ou tu parles d'un autre livre ?
C'est un autre livre, à l'histoire éditoriale assez liquide. On le trouve des fois sous le titre Vie d'une prostituée, parfois avec des coupes, parfois en édition pirate, presque si ce n'est toujours sans nom d'autrice.
Cimer khey
Enfin terminé Les Grandes Espérances, ma deuxième expérience de Dickens, un peu plus nette que la première (Les Temps difficiles). Dans l'ensemble j'ai bien apprécié cette histoire d'une désillusion, le genre de roman construit autour de l'erreur qui fait basculer profondément toute une vie. On tombe sur des figures familières au romanesque (le jeune en formation, le bandit au grand cœur, etc), et en même temps j'ai retrouvé un certain côté "fugitif" dans l'écriture, dans le sens où les personnages et les lieux ne me laissent pas ou rarement d'images précises et fixes dans l'esprit ; comme pour l'autre Dickens, ça m'évoque du croquis et des scènes rapides sans être légères. Je crois que d'un côté cela peut avoir quelque chose d'insatisfaisant quand par une sorte de caprice de lecteur on aura envie de quelque chose d'un peu plus pittoresque (ce à quoi j'associais facilement l'auteur avant de le découvrir), ou d'un peu plus peint ? (car il y a indéniablement du pittoresque dans ce Dickens, des caractères saisissants) -- mais de l'autre il y a quelque chose d'intrigant dans cette manière plus en demi-teinte, par touches, de donner les choses. Enfin, tout cela fait que je n'en ai pas encore terminé avec Dickens, je peine toujours à en tirer une conclusion ou une opinion beaucoup plus claire et il attise ma curiosité. Peut-être que pour le prochain j'opterai pour un plus connu / classique de ses ouvrages pour voir.
Sinon ici je n'ai toujours pas récupéré le plus gros de mes achats livresques les plus récents, je me retrouve essentiellement avec des achats beaucoup plus anciens et/ou liés à la scolarité, donc pas mal de classiques. Dans le lot je me referai ptet Les Liaisons dangereuses, et j'ai aussi emporté le Chrétien de Troyes que je ne parviens mystérieusement jamais à terminer (il me plaît comme les autres romans de l'auteur mais je finis toujours par le laisser de côté à un moment ou un autre), Le Chevalier au lion. Et quelques autres options, je verrai demain.
Et comme cela m'arrive souvent dans les moments de transition ou de stagnation, le soir je me tourne vers Lovecraft, ses géométries indicibles et ses créatures non-euclidiennes ; mais je suppose que chacun ici a ses lectures doudou n'est-ce pas
Téléscopage intéressant, je me rattrape doucement sur Lovecraft également, dont j'ai jamais trop aimé la façon dont son imaginaire était traduit dans la culture générale mais que j'ai peu pratiqué de première main.
Pas hyper fan pour l'instant (mais je le tape en chronologie, ce qui n'aide sûrement pas) mais je vois une constante notable dans ses premiers tafs qui commence à dessiner ce qui sera j'imagine davantage son style propre : au milieu de tentatives de reprendre un fantastique à l'ancienne assez balisé (il se réclame de Poe me semble-t-il mais on sent un besoin de se légitimer pas toujours assumé en voulant européaniser ses intrigues / personnages), il y a une préoccupation notable chez lui de la question de la trace mais qui tourne en crypto-archéologie.
Alors certes, certains fantastiques ancienne mode appréciaient également situer leurs intrigues dans le passé, mais différemment ; Mérimée aimait ça comme un catalogue de patrimoine, Gautier était un bandeur de paganisme anti-chrétien, les Anglais restaient sur un fond romantique de fascination pour une Antiquité fantasmée mal digéré, mais lui il remonte plus loin. Lovecraft a une espèce de fascination pour un anté-passé, un temps primordial, pas un âge d'or parce qu'il est edgy mais un âge noir, et c'est excessivement américain en fait comme problème.
Sous une autre forme, c'est un truc que tu retrouves chez les paysagistes en peinture à la Bierstadt, chez Whitman énormément, ce besoin de penser son monde comme une espèce de page vierge intouchée avant une sorte de "pré-histoire" tour à tour édenique chez les uns ou infernale parce qu'incompréhensible et monstrueuse chez les autres.
C'est difficile de ne pas vouloir relier cette perspective à la conscience assez précoce dans la société américaine du caractère anhistorique, atraditionnel de leur propre histoire de colon. C'est un truc assez problématique également dans ses présupposés, de la même manière qu'une certaine écriture aventureuse de l'Afrique chez les Britanniques et les Français gomme l'histoire de ce que tu veux remplacer ou t'arroger.
Ca m'intéresse mais je vois déjà des répétitions dans l'approche de Lovecraft de cette écriture du dépôt, et je vais sûrement avoir du mal à enchaîner. Le format oeuvre intégrale va pas coller, je vais essayer de dégoter une liste des nouvelles plus intéressantes histoire d'élaguer les déchets un peu faiblards.
Typiquement j'imagine que sur de telles listes dans les oeuvres de "jeunesse" ou de son premier cycle, on trouvera tout le temps Dagon (supposition) et effectivement de ses premiers écrits je trouve que c'est une des meilleures, elle a une écriture de l'horreur symbolique du paysage qui me fait penser à Michel Bernanos.
Enfin voilà on est là.
J'ai commencé le troisième bouquin de la trilogie First Law, j'ai du mal à comprendre l'engouement des américains.
Si ce n'est le fait qu'on suit une team de gars pas sympa pour un sous ce qui peut être relativement original, ce qu'il s'y passe est osef, c'est lent, le world building est médiocre c'est juste moyen de bout en bout même si le personnage de Glotka est cool (mais du coup on a le seum quand on change de PoV)
Le 09 septembre 2024 à 06:50:17 :
Téléscopage intéressant, je me rattrape doucement sur Lovecraft également, dont j'ai jamais trop aimé la façon dont son imaginaire était traduit dans la culture générale mais que j'ai peu pratiqué de première main.
J'avais vu ça sur SC, je me demandais pourquoi tu te faisais du mal à lire Lovecraft
J'avais voulu lire Lovecraft chronologiquement il y a quelques années mais j'ai fini par laisser tomber cette option. Depuis je choisis les nouvelles au titre selon l'inspi du moment, actuellement je puise dans le tome 2 de l'intégrale chez Robert Laffont car j'ai prêté le tome 1 consacré aux nouvelles liées au "mythe de Cthulhu" ; le tome 2 concerne les textes qui s'en écartent (même si j'ai constaté que certains d'entre eux y étaient plus ou moins rattachés et figuraient dans certains recueils liés à Cthulhu).
Ma première incursion chez Lovecraft, je l'avais faite avec deux recueils du coloc, https://www.babelio.com/livres/Lovecraft-Je-suis-dailleurs/5751 et https://www.babelio.com/livres/Lovecraft-Le-mythe-de-Cthulhu/18778 .
Oui, d'accord pour dire qu'il y a pas mal de déchet et de faiblesses chez Lovecraft ; peut-être dus au contexte d'écriture, ou à lier à une volonté obsessive et totalisante de représenter tel et tel motif en dépit d'un potentiel manque de matière, je ne sais pas.
Il y a aussi ce côté redondant (entre les textes et à l'intérieur, dans le vocabulaire, même s'il faut voir le rôle de la traduction là-dedans -- en tous cas fréquemment une surabondance d'adjectifs superflus, selon moi) qui peut déplaire ou lasser effectivement.
Personnellement la fiction autour du dépôt comme tu dis et de la "crypto-archéologie" me plaît assez, et il y a en effet pas mal de nouvelles qui se construisent là-dessus de ce que j'ai pu lire, avec souvent l'idée d'un héritage ancestral à (re)découvrir et je crois que ce n'est pas ce qui me lasserait en premier chez Lovecraft. Intéressant d'ailleurs le lien que tu fais avec une problématique américaine plus générale, je comprends que ça puisse être dérangeant.
Plus matériellement j'aime bien le côté "excavation", progression souterraine, idée d'un sous-sol (anciennement) habité, j'y retrouve parfois la sensation que j'ai pu avoir en lisant Voyage au centre de la terre de Verne par exemple. Et d'autre part il y a aussi l'aspect angoissant que j'apprécie de tirer de ces lectures, avec l'idée désagréable d'un univers peuplé d'horreurs et sans secours. C'est peut-être ce côté répugnant poussé à fond, universel, joint à ces balbutiements obsessionnels parfois malvenus, qui fait que Lovecraft gagne plus facilement ma sympathie que par exemple Poe, à qui je reste relativement hermétique à quelques exceptions près... Cette impression qu'on ne peut pas poétiser joliment sur ce que Lovecraft donne à entendre. Et comme déjà dit ici, je prends souvent un plaisir brut à le lire, un peu comme devant un film grand spectacle pour ainsi dire.
Bref, à moins d'avoir un intérêt spécifique pour l'ordre chronologique, qui est intéressant en soi, et si l'on n'est pas spécialement curieux de se faire l'intégrale, je crois qu'il vaut mieux effectivement opter avant tout pour la lecture des nouvelles majeures, que ce soient celles considérées comme les plus représentatives / fondamentales de l'œuvre lovecraftienne, ou celles jugées comme les plus réussies (il y a parfois hiatus ici entre les deux, par exemple avec le famoso "Appel de Cthulhu", qui n'est généralement pas la plus appréciée me semble-t-il).
Tiens j'ai lu "La Tombe" que je ne connaissais pas, je la range parmi celles que j'ai bien appréciées. "Dagon" je l'ai lu il y a trop longtemps pour m'en souvenir nettement mais ça m'avait plu aussi.
Fuck up (Arthur Nersesian). Un roman underground culte dit-on.
Lovecraft gagne plus facilement ma sympathie que par exemple Poe
Il me semble qu'il y a un malentendu concernant Poe, tenu pour un écrivain de l'horreur, ce qu'il n'est que marginalement. Rien de comparable avec Lovecraft en tout cas.
Voir la préface à l'édition récente des Nouvelles intégrales de Poe :
Le choix même des nouvelles traduites par Baudelaire viendra conforter la légende d’un maître du fantastique noir et lugubre, et celles qu’il a écartées seront longtemps tenues, parfois injustement, pour négligeables ou de seconde catégorie. Cette image d’Épinal dans laquelle la postérité a figé Poe comme un insecte pris dans l’ambre a relégué au second plan, quand elle ne l’a pas totalement occulté, le trait principal de la plupart de ses histoires: un sens aigu du grotesque très ancré dans un contexte littéraire et politique, nombre de ses charges, plus ou moins déguisées, visant ses contemporains, qu’ils soient écrivains ou politiciens. [...]
Poe n’est pas un de ces fabricants au kilomètre d’histoires fantasques ou absurdes que l’on trouve dans des revues comme le Blackwood’s Edinburgh Magazine, qu’il caricaturera notamment dans «Le souffle perdu », « Comment écrire une histoire façon Blackwood» ou «Un beau pétrin». Il récupère cependant divers motifs des lectures de l’époque: le gothique anglais dans «La chute de la Maison Usher», le fantastique allemand dans «Le souffle perdu», où le personnage perd son souffle comme Peter Schlemihl son ombre dans le roman de Chamisso. On peut aussi trouver Hoffmann à travers la figure du double dans «William Wilson», ainsi que dans les diableries de «Bon-Bon», du « Diable dans le beffroi» ou du «Roi Peste » mais ces contes ne relèvent jamais de la magie noire, ni de l’esprit de sérieux que certains, ailleurs, leur insufflent: il s’agit chez Poe de contes humoristiques, ou grotesques, jamais véritablement inquiétants. Aussi procède-t-il le plus souvent en parodiant ces histoires farfelues que débite à la louche le Blackwood et d’autres journaux. Le problème mais est-ce vraiment un problème ? est qu’il lui arrive de trop bien parodier: ainsi, «‘Manuscrit trouvé dans une bouteille’, qui ouvrait le cycle de l’‘In-folio’ et se voulait une imitation des récits de voyages rocambolesques, n’a plus rien, à nos yeux, d’une parodie. Ce vaisseau-fantôme surgi sur la vague géante, ce très vieil équipage murmurant qui n’est pas invisible mais ne voit pas le narrateur, nous y croyons parce que l’artiste est trop juste. Il a raté sa parodie.» Il ne faudrait cependant pas se borner à voir dans les contes de Poe de simples imitations d’Hoffmann ou du gothique anglais, pas plus qu’il ne faut systématiquement y voir des fragments d’autobiographie, à la suite de ce qu’ont voulu y lire Marie Bonaparte ou Baudelaire lesquels se sont basés ensuite sur cette clé interprétative pour proposer le portrait d’un Poe sombre et maladif, intimement torturé d’angoisses permanentes, un ange noir et incompris écrivant des histoires terrifiantes, un corbeau sur l’épaule, une bouteille de scotch à ses côtés, et quelques chauves-souris voletant au-dessus de son crâne bref: la légende. «En dépit des allusions personnelles ici et là répandues, écrit Georges Walter, voir en Ligeia l’image de Virginia et dans le narrateur du “Chat noir” un autoportrait de l’auteur, bref, chercher l’auteur comme on cherche la femme, c’est perdre de vue le sens sous-jacent et suggéré, le deuxième regard sans lequel la fiction, selon Poe, n’a aucun intérêt.» De façon générale, il faut relever chez Poe une notion fondamentale, à ne jamais perdre de vue lorsqu’on le lit, qui est l’opposition entre la fantaisie («fancy ») et l’imagination. La première est une rêverie aléatoire et gratuite, un jeu de l’esprit qui vagabonde allègrement, libre de toute entrave conceptuelle. Poe la rejette absolument. La seconde en revanche s’apparente à une profonde intuition fondée sur la connaissance objective des faits, et peut permettre d’accéder à la vérité. C’est ce que démontrera par exemple le détective Auguste Dupin dans les trois nouvelles qui lui sont consacrées, «Les crimes de la rue Morgue », «Le mystère de Marie Roget» et «La lettre dérobée », dans les tomes II et III de la présente édition. Poe n’est pas un rêveur ou alors c’est un rêveur rigoureux. [...]
Poe, donc, n’est pas plus un rêveur qu’un opiomane ou un buveur compulsif: ses histoires sont précises, organisées, scrupuleusement référencées, et toujours à considérer en fonction de la vie politique, littéraire et éditoriale de l’époque à laquelle elles ont été écrites. La majorité d’entre elles, en effet, sont abondamment cryptées et, le temps ayant fait son œuvre depuis lors, elles pourraient à bon droit passer, aux yeux d’un lecteur du xxie siècle, pour d’aimables et discutables fantaisies (dans le sens de «fancy », justement, que rejetait Poe) si on ne les recontextualisait pas. Ainsi «Le roi Peste » (sous-titré, pour faire bonne mesure : «Histoire contenant une allégorie ») ne peut-il être pleinement apprécié si on ne sait pas que Poe, clairement engagé dans la vie politique de son époque, était favorable aux Républicains, et que la nouvelle est une charge violente et caricaturale contre le Président démocrate des États-Unis, Andrew Johnson, et son entourage tout comme l’est « Quatre bêtes en une »; que «Le diable dans le beffroi» vise à ridiculiser par de nombreuses allusions le successeur de Johnson, Martin Van Buren (président démocrate des ÉtatsUnis de 1837 à 1841); ou que «L’homme rafistolé » est une critique du vice-président Richard Mentor Johnson. Les allusions à la vie littéraire de l’époque sont également constantes: «Une histoire de Jérusalem» est écrit en référence à un roman du Britannique Horatio Smith; «Bon-Bon» à un autre roman, de l’Écossais Thomas Carlyle ; «Mystification» est à considérer en regard d’une joute littéraire ayant opposé Poe à Theodore Sedgwick Fay, le rédacteur du New York Evening Mirror, la nouvelle étant une parodie d’un chapitre d’un roman de Fay, etc. Toute l’œuvre de Poe, les deux tomes suivants ne le démentiront pas, est étroitement inscrite dans son époque, et y fait constamment référence, que ce soit par le choix des thèmes, des personnages ou des situations.'
D'accord, il est bon de tempérer la légende d'un Poe essentiellement noir et ces remarques sur l'auteur sont intéressantes à savoir. Pour ma part le premier recueil de Poe que j'ai lu, il y a vraiment longtemps, réunissait des nouvelles de genres divers, et j'y ai découvert "Ligeia" tout comme "Double assassinat dans la rue Morgue", "La Lettre volée", ou encore "Une descente dans le Maelstrom", qui m'avait fait forte impression à l'époque. Mais par la suite j'avais complétement cessé de lire cet auteur jusqu'à ce qu'on m'offre ses Contes macabres (l'édition mochement illustrée par Lacombe ), et c'est probablement ce qui me pousse facilement à la comparaison avec Lovecraft.
Ceci dit je pense tout de même que la part dans l'œuvre de Poe de "paranormal inquiétant", dira-t-on pour pouvoir y ranger le tout et le divers (fantastique-horrifique), reste comparable avec les textes de Lovecraft, ne serait-ce que parce que celui-ci s'est inspiré du premier ; mais si tu veux je comparais davantage l'effet que peuvent avoir sur moi l'un et l'autre dans leur singularité, dans leur manière propre d'écrire et d'écrire l'horreur, que je ne jugeais de leur réussite et ne les départageais sur tel ou tel point.
Par ailleurs reprendre Lovecraft me redonnait justement envie de relire un peu de Contes macabres, car à force de le lire généralement "sans plus", je m'interrogeais encore là-dessus, me demandant d'où je mésestimais Poe ou si je le lisais mal ou à de mauvais moments.