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Le problème était la tolérance à l’environnement. Ils savaient que la souche préparée avait l’efficacité voulue. Elle était simplement trop délicate. Exposée à l’air, elle mourait bien trop facilement. Ils ne savaient pas bien pourquoi. Ce pouvait être une question de température, d’humidité ou d’excès d’oxygène, et cette incertitude avait été fort gênante jusqu’à qu’un membre de l’équipe trouve une solution. Ils avaient recouru au génie génétique pour greffer des gènes du cancer dans l’organisme. Plus précisément, ils utilisaient le matériel génétique du cancer du côlon, l’une des souches les plus résistantes qui soient, et les résultats avaient été remarquables. Le nouvel organisme n’était qu’un tiers de micron plus grand mais s’avérait d’une résistance bien supérieure. Il en avait la preuve sur le moniteur du microscope électronique. Les minuscules particules virales avaient été exposées pendant dix heures à l’atmosphère et à température ambiantes avant d’être réintroduites dans le milieu de culture et déjà, constata Cristina Hawkins, elles avaient repris leur activité, utilisant leur ARN (Acide ribonucléique) pour se multiplier après s’être nourries, se répliquant en millions de nouveaux brins minuscules avec un seul objectif : dévorer des tissus. En l’occurrence, du tissu rénal, mais le tissu du foie était aussi vulnérable. La scientifique (diplômé de la faculté de médecine de Yale) consigna les résultats de l’expérience puis, comme c’était son projet, elle baptisa la souche. Elle bénit le cours de théologie comparative qu’elle avait suivi vingt ans plus tôt. Il n’était pas question de lui donner n’importe quel nom.
Shiva, pensa-t-elle aussitôt. Oui, la divinité la plus complexe et la plus intéressante du panthéon hindou. Tour à tour destructeur et restaurateur, maîtrisant le poison destiné à détruire l’humanité et l’un des époux de Kali, la déesse de la mort. Shiva. Excellent. Cristina Hawkins acheva la rédaction de son compte rendu, sans oublier la suggestion de nom pour l’organisme. Il y aurait encore un test à effectuer avant de passer à l’exécution. L’exécution… un terme approprié au projet. Une exécution pour le moins à grande échelle.
Pour sa dernière tâche, elle prit un échantillon de Shiva, enfermé dans un récipient hermétique en inox, sortit de son labo et parcourut cent mètres de couloir pour en gagner un autre.
« - Salut Cristina, dit le chef de labo à son entrée. T’as quelque chose pour moi ? »
« - Salut Steve. » Elle lui tendit le récipient. « Le voilà. »
« - Comment va-t-on l’appeler ? » Steve prit le conteneur et le posa sur la paillasse.
« - Shiva je pense. »
« -Plutôt menaçant, comme nom », observa Steve avec un sourire.
« -Oh, mais il l’est », lui promit Cristina. Steve était également médecin, diplômé de l’université de Duke, et le spécialiste maison des vaccins. Pour ce projet, il avait dû abandonner ses travaux sur le Sida, qui commençaient à se révéler prometteurs.
« - Donc les gènes du Cancer du côlon ont donné les résultats que t’escomptais ? »
« - Dix heures à l’air libre, bonne tolérance aux UV. Même si rien n’est sûr pour l’exposition directe au soleil. »
« - Il nous suffit qu’il résiste deux heures », lui rappela Steve. Et une seule serait amplement suffisante, tous les deux le savaient. « Très bien. Merci Cristina. » Steve lui tourna le dos et introduisit le conteneur dans des boîtes à gants pour l’ouvrir, afin de commencer à travailler sur le vaccin. Le plus gros du travail était déjà fait. La souche utilisée était bien connue. Et Steve était connu dans le monde entier comme l’un des meilleurs spécialistes de la fabrication et la réplication d’anticorps destinés à simuler le système immunitaire d’un individu. Il reporta son attention sur la paillasse, fit coulisser le clavier de l’ordinateur et tapa quelques annotations pour son nouveau projet. Bon nombre de ses collègues utilisaient pour cela des calepins mais le projet n’autorisait que l’ordinateur pour l’archivage des comptes rendus d’observation, et toutes les notes étaient cryptées. Si ça pouvait faire plaisir à Bill Gates, alors qu’il n’y voyait pas d’objection. Les méthodes les plus simples n’étaient pas toujours les meilleures. N’était-ce pas du reste la raison de sa présence ici, au sein de ce projet nouvellement baptisé Shiva ?
