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Sujet : Alter Ego 2.0
--crazymarty--
Niveau 10
05 septembre 2012 à 18:42:48

Bonsoir tout le monde :-)

Après maintes et maintes pérégrinations, il est temps pour ce texte de SF de se retrouver en intégral sur le forum. Des fautes corrigées, quelques tournures remises en selles, bref, j'espère que cette mouture saura vous convaincre, tout autant que l'univers et ses personnages pour le moins ... originaux.

Je vais tenter de tenir le rythme de publication d'un chapitre par jour. C'est beaucoup, mais ce sera la seule façon pour venir à bout de ce "monstre" que j'enfante depuis 4 ans. Bien entendu, lira qui veut à la vitesse qu'il l'entend. Du moment que vous prenez votre pied, voilà bien le principal pour moi :-) ...

Alors, sur ces quelques considérations, bonne lecture :-) ...

1.

Paris, janvier 2090
Zone de combat n°17

Il neigeait. Un ciel gris, surréaliste, avec cette teinte si particulière que lui donnaient les flocons hivernaux. Et nous, nous étions là. Une simple poignée d’hommes dans une zone démilitarisée parisienne, coincée dans ce qui autrefois fut l’arène des émotions. Aujourd’hui, tout était vide. Un toit de tôle, éventré par l’épée invincible du temps. Nous, assis sur d’antiques chaises en plastiques, à ne rien faire qu’attendre.
— Sergent.
— Oui, Dugommier ?
— C’est l’heure sergent.
— Parfait, alors pliez bagages. Dans cinq minutes, nous devons être prêts à partir.
— Bien, sergent.
Et ce fut comme ça que tout a commencé. Une longue journée qui nous attendait.
En bon sous-off’, je n’ai pas décollé mon cul de cette chaise. Comme par miracle, tout avait fini par se retrouver rangé : les quelques tentes et le matériel se faire remettre en ordre de bataille, quelques duvets soigneusement pliés, les unités de contact satellites éteintes, et tout un tas de petits plaisirs qui ne me servait plus désormais. Des rations de combats, un semblant de douche, quelques fusils sniper dernier cri. Moi, j’avais déjà tout embarqué. Pas grand-chose, mais assez pour tenir un mois sans se réapprovisionner : trois tubes nutritifs à haute concentration, une paire de mains mécaniques de rechange, une cape motif treillis que je ne quittais jamais, et un générateur plasma de secours, pour faire fonctionner ce corps qui n’en était plus un.

Je m'appelais Christian. Matricule Kris-30.06.66. Sergent de l’unité B-R59. Et j’étais là. Au milieu de ce putain de merdier.

Je me lamenterais pas. Ça serait complètement inutile, et dangereux pour ce qu’il me reste d’humain. Mais aujourd’hui, ça faisait trois ans. Joyeux anniversaire, ô toi la France qui n’est plus que l’ombre de ton passé. Trois ans depuis le début. On assassine l’Innocence d’une paix éphémère à coup d’attentats meurtriers dans le métro, lentement, avant que tout n’explose. Paris en guerre civile. Paris sous la mitraille du lance-roquette artisanal. Paris ou la guerre des gangs. Paris ou l’impuissante. Trois ans à se surveiller sans arrêt, à boucler les quartiers « sensibles » sous un important dispositif militaire, à déclarer des zones « interdites » car suspectes. Trois ans à jouer au chat et à la souris dans une ville qui se décrépit. Il y avait Sarajevo à la fin du vingtième siècle. Mais notre Sarajevo, à présent, c’est elle. Bâtiments refaits façon mitrailleuse gros calibre. Tour Eiffel décapitée. Assemblée nationale emmurée. Barrages à n’en plus compter. Lignes de métro coupées. Et le silence. Souvent. Il y a eu tant de morts pour rien, tant de sacrifices vains qui ont, à jamais, détruit l’image rose bonbon de l’ancienne capitale des cons. On m’a éjecté dès le début dans ce trou à rat. Jamais ils ne te mettront en première ligne m’avait dit un sergent anonyme, la veille du grand soir. Mais la roue du progrès a tourné. Et je suis devenu un poids mort qu’il fallait rentabiliser. Un pauvre militaire formé au rabais qu’on avait vendu aux armées françaises, en même temps que des dizaines d’autres. Trois ans déjà.
On était six. Comme tous les matins, on levait le camp. La zone de combat dix-sept, la Saharienne comme on l’appelait, c’était un désert humain. Un grand quadrilatère coincé entre le quai et le Boulevard de Bercy, la rue de Charanton, jusqu’au périph’ Sud. C’était grand. Très grand. La seule porte d’accès au nord, c’était le palais omnisports de Bercy, prisonnières des plaques de bétons de cinq mètres sur trois posées à la va-vite. Alors avant de patrouiller, on allait voir les collègues. La Saharienne, c’était plutôt calme. Quelques infiltrations de temps à autre, mais on reprenait vite le contrôle de la zone. Une routine usée, alors on essayait de s’occuper un peu. Mes gars prenaient un café le matin, vers neuf heures et demie. C’était un rituel, presque un pèlerinage sacré, et je me faisais engueuler s'ils n’y avaient pas le droit. Et ce vingt janvier, je n’ai pas dérogé à la règle. Ambiance bonne enfant, sourires fades sur les lèvres, on est sorti de ce maudit ventre de ferraille qui pourrissait dans le vent. Dix minutes plus tard, on était sur les marches, juste à côté de l’entrée de métro pas encore condamnée. L’unité B-R63 était au complet, soit neuf hommes, tous soldats de seconde classe, des paumés comme nous, et à leur tête, le sergent Armestri. C’était devenu un excellent ami, et on se tutoyait. Lui en avait bientôt trente-cinq ans, moi tout juste vingt-quatre. Julio de son prénom. Un fils d’immigré qui rêvait d’ascenseur social, et qui se retrouve à éponger la merde des Français bien lotis. Tous ceux qui avaient pu étaient partis au-delà de la petite couronne, à dix kilomètres de là. Le gouvernement s’était réfugié sur Lyon, maintenue artificiellement par l’omniprésence militaire. La loi martiale courait toujours, officieusement. Avec ses avantages comme ses inconvénients. Mais toute cette propreté, c’était loin de nous. Une forme dans la brume, qui tentait d’exister. Un flou artistique à coups de fusils à pompe, de décharges de tazzer, d’anesthésiques en fléchettes, et parfois de balles ionisées. Mais c’était loin. À jamais, ça resterait loin de nous.
Lui, il était brun, bien foutu et blagueur. Un sacré sens de la rpartie comme de l’insulte sarcastique. Moi j’étais blond, un corps métallique, et plutôt réservé. J’évitais la confrontation quand lui n’hésitait pas à narguer les membres de gangs. C’était vraiment quelque chose d’incroyable, surtout quand il racontait ses anecdotes. Lui il aimait cette guerre sans fin, quand elle m’avait volé ma vie passée. Mais on était là, au hasard des affectations. Il fumait tranquillement une cigarette quand nous sommes arrivés dans le kiosque à journaux, un lieu de rendez-vous prisé parce que l’un des rares ou l’on pouvait trouver de l’électricité gratuitement. L’odeur du café chaud, c’était un vrai délice. Même moi qui ne pouvait plus goûter ce plaisir, j’avais du mal à m’en passer.
— Hey ! Christian ! Comment ça va ?
— On dira que j’ai vu pire …
Il ne dit rien, se plongeant dans la couleur ambrée du café noir encore bouillant. La nuit semblait tenir la partie avec le jour. Une semi-pénombre à peine troublée par la météo chaotique. Alors, on se tassait à quinze dans huit mètres carrés. Ça tenait chaud, et puis le café n’était pas loin. Les immeubles à côté n’étaient pas d’un grand secours. La plupart blessée, ou complètements détruits par les bombes d’un ancien combat. Le ministère des Finances tenait encore debout, miracle ou hasard des tirs.
— Cigarette ?
— Oui, merci.
Il me tendit un long tube blanc, un peu tordu et qui sentait le tabac humide. Il alluma le briquet, et j’inhalais profondément la fumée bourrée à la nicotine, un shoot de plaisir léger qui courut dans mon cerveau. Les habitudes dangereuses sont les meilleures. Même celles qui prennent quarante ans à vous liquider.
— La nuit a été calme.
C’était un simple constat.
— Pour nous aussi. Et la journée semble bien partie sur la même voie.
— C’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter.
— Eh ! J’en ai une bien bonne à te raconter.
Je souriais. J’allais encore savourer ce délicieux plaisir de racontar. Je buvais déjà sa voix chaude un peu rêche. Ce petit caillou méditerranéen qui lui roulait sur les dents, si discret et si mélodieux.
Un sifflement. Sa tête explosa, dans un horrible bruit de succion. Un regard halluciné, figé, et il s’écroula d’un bloc sur le sol en lino.
— Sniper ! À terre ! Criais-je
Aussitôt, une seconde balle siffla au dessus de ma tête, avant de se ficher comme un gros moustique dans la main droite d’un de mes hommes. Il hurla de douleur.
— Merde, merde ! Y en a un autre ! À couvert !
Cinquante mètres avant la bouche du métro. Un homme en condition normale avec onze kilos sur le dos mettrait dix à quinze secondes. C’était trop, beaucoup trop. Je n’aimais pas faire ça, mais je n’avais pas le choix. J’attrapai le gars qui s’était mangé une balle et je le planquai derrière moi.
— On va se mettre à l’abri dans le métro. Mais surtout, vous attendez mon signal.
— B…bien, sergent.
Il était blanc comme un linge. La balle avait traversé la main, avant de ressortir et de se ficher dans son gilet pare-balle. Mais il n’y avait pas un seul kit médical. Tous laissés dans le POPB. L’habitude avait eu raison de notre attention. Il fallait réagir vite, ou on finirait tous troués. Je déchirai un morceau de ma cape, et je lui tendis.
— Enroule ta main là dedans.
— Merci, sergent Kris’.
— Tu me remercieras quand on sera dans le métro. Ou en Enfer, si on y passe.
Un léger sourire. Il devait souffrir le martyre.
Un troisième projectile siffla. Juste à côté d'un autre gars. Sûr qu'il y serait passé s'il s'était levé. Le temps pressait. Je devais vraiment le faire. Je n’avais plus d’autre choix.
Ma conscience humaine s’arrêta de vivre son cours linéaire. Ce vingt janvier, à dix heures dix-sept, c’était la machine de mort qui se relevait.
Ma vision changea complètement. Elle oscillait entre des dizaines de couleurs toutes plus vives les unes que les autres, diagramme retranscrit de la chaleur des corps. Une cible se verrouilla juste sur le haut du ministère, à deux cents mètres de nous, et clignota en rouge. Un petit déclic raisonna un court instant, entre deux respirations, juste au dessus de mon épaule gauche. Le bruit d’un flash qui se charge. Et la balle s’enfuit. Il lui fallut à peine une seconde pour toucher sa cible, explosant en une magnifique boule orangée qui illumina le ciel gris quelques instants, avant de se flétrir, son œuvre de mort accomplie. Le premier sniper n’était plus qu’un petit tas de cendres.
Il y avait eu deux position de tir. La première, c’était celle à l'origine de la balle qui avait blessé le soldat Falkès. La seconde, au jugé de l’angle, se trouvait plus bas. Beaucoup plus bas. Analyse rapide. Seule probabilité fiable : un point situé à une dizaine de mètres de haut et à plus de huit cents mètres. Un parking désaffecté, le long des voies de la gare de Lyon. Cible verrouillée. Il rechargeait déjà son fusil. Angle de tir calculé. Chargement de la balle. Feu !
Elle siffla dans le vent, passa sous l’arche du ministère sans ciller, filant à la vitesse du son sur l’homme. La neige aurait dû la dévier. Mais l’ordinateur avait tout calculé, y compris ça. C’était fascinant de voir à quel point la mort pousse à créer, à ruser, à imaginer de sordides palais de concept.
Elle tournoya lentement. Une balle perforante sortit de son canon. Elle aussi, parfaitement ajusté à mon regard artificiel. Entre les deux yeux.
Se pencher pour sauver sa peau, et laisser crever le gars qui était derrière moi. Mettre ma main entre les deux, et foutre en l’air mon bras droit. Ou la laisser se ficher dans la cible rouge qui scintillait juste à la naissance de mes sourcils.
Non. Le choix était évident, mais je refusais. La machine gagne. L’homme perd.
Surpression de l’air, et choc lumineux. La balle siffla, brûlant l’air de sa trajectoire fatale.
Les balles se croisèrent, dans un mouvement si rapide qu’aucun homme n’en gardera un souvenir. Croisement, et éloignement. Elles percutèrent leurs cibles respectives. L’une explosa, l’autre pénétra. L’une apportait la Mort. L’autre était une tentative désespérée de vie.
Un simple gobelet avait tout changé. Posé sur le coin d'une table de fortune, impassible dans la mort qui s'abattait ici-bas. Pourquoi aurait-il bougé d'ailleurs ? Qu'en avait-il à foutre de disparaître ou d'exister. Mais lui, il était là. Je l'attrapai d'un mouvement de bras, conscient du danger que je prenais. Juste à temps. Le métal avait obéi au Métal. La balle, en une poussière de seconde, percuta la surface en zinc du récipient. Un simple décalage de main avait tout changé. Un mouvement incroyablement rapide, impossible pour un homme de chair, et j’avais tout changé. L’espace infime qui séparait les deux bords de ce foutu moque de café, la balle filait. Changer l’angle, changer de destin.
L’explosion résonna jusqu’à nous. Mais je l’ai à peine entendu. Un écho lointain d’un monde presque évanescent. La corolle de fer m’avait sauvé. J’avais du mal à le croire.
— Allez-y !
C’était plus ma voix. C’était celle de la machine. La voix métallisée d’un combattant du siècle des Ténèbres. L’Homme machine à tuer dans sa force la plus brutale et la plus accomplie. C’était moi et c’était un Autre. Un simple programme vocal asservi par un système serveur dynamique à connexion neurale. Un révélateur. Une photo stéréo. Le danger guettait encore. Ce corps s’éleva seul, courant après les hommes qu’il commandait. Le pas métallique et gracieux d’un cyborg militaire dans la neige de Paris.
C'est à ce moment-là que tout a basculé. C'est comme ça que je suis devenu un "héros". Ironie du sort, c'était là que tout allait se terminer.

--crazymarty--
Niveau 10
05 septembre 2012 à 18:43:07

Je m'engouffrai dans les escaliers. Ma vue retrouva un semblant de normalité, excepté le fait que dans la pénombre des couloirs souterrains, j'y voyais comme en plein été. Dehors, le silence était retombé, emprisonnant une fureur passée dans sa gangue de poudreuse immaculée.
J'étais étrangement calme. Celui que je considérais comme mon meilleur ami venait de se faire descendre, mais je n’étais ni triste, ni angoissé. L’interface visuelle m’indiqua qu’il venait de délivrer toute une série de drogues compensatrices. Telle une vague venue du fond de la mer, je sentais leurs effets agir aussitôt. Mes muscles se tendirent, mon esprit s’affuta encore. L’efficacité prévalait sur le sentimentalisme, préservant par la même mes facultés de discernements . Et je n'avais que trois constats à faire : un sergent était mort, des snipers étaient apparus dans le secteur alors qu'on en avait pas vus depuis plus d'un an, et j'avais laissé mes hommes déserter leur zone. Ce qui faisait un bon paquet de paramètres suffisamment instables pour que la situation dégénère. Non, vraiment, ce n'était pas le moment de paniquer.
— Sergent ?
C'était Kalaz. Le pauvre type qui s'était fait éclater la main façon steak haché. Il saignait salement, et le morceau de cape que je lui avais filé était saturé. Ça gouttait sinistrement sur le sol gras du couloir de métro.
— Si tu t’endors, je t’achève ...
Je lui souris. Il me le rendit malhabile. Je déchirais un autre bout de ma cape, usée par le frottement et qui s'élimait par endroits.
— Quelles sont les réserves alimentaires ?
Un des soldats ouvrit son sac, et en ressortit un bon nombre plusieurs petits paquets d'aluminium encore intacts.
— Il reste encore ...
— C'est du sucre qu'il me faut.
Il me lança un sachet à peine plus gros qu'une enveloppe standard, bien gonflé. Je l'ouvrais d'un mouvement sec et précis.
— Kalaz, il va falloir retirer le tissu ...
— Vous ... vous êtes sur, sergent ?
— On n’a pas le choix. Si vous ne voulez pas perdre la totalité de votre bras.
Il hésita un instant, avant de dérouler lentement le bout de coton. Il siffla de douleur. Le sang recommençait à couler dangereusement. Il n'avait pas encore tout enlevé, mais ça puait la blessure foireuse à dix kilomètres. Ce fut une vraie torture de retirer les derniers tours, confirmant mon hypothèse.
L'auriculaire avait sauté, tout comme l'annulaire et le majeur. Une bonne partie des chaires sous-jacentes avaient fondu, ne laissant plus que des morceaux de tendons et d'os éclatés. Le tout dans une hémorragie sérieuse, qui semblait vouloir vider de son sang mon subordonné. Il ne pourrait pas sauver sa main, c'était évident. Et ce qui était plus évident encore, c'est qu'il ne passerait pas la journée sans soins en urgence.
Je lui versai rapidement le sucre, et il poussa un cri. Un cri inhumain. Ça ne dura que quatre, peut-être cinq secondes, et je remballai aussitôt sa main dans un morceau de cape "propre". Il m'observa avec une insistance inquiétante, en sueur, livide, et de temps en temps un frisson s'agitait le long de sa nuque. Vraiment, ça sentait mauvais.
Je m'assis à même le sol, retraçant en une fraction de seconde ce que je devais faire. Les hommes ne dirent rien, sans doute prêts à obéir. Eux aussi sentaient que ce n’était pas normal.
— Est-ce que l'un de vous a récemment emprunté la ligne militaire ?
Regards étonnés, ou pire, vides de sens.
— Bien, lançai-je, refroidi. Vous vous débrouillez pour monter deux binômes, équipés et prêts à partir dans le quart d’heure. Je veux savoir si le réseau du métro est encore exploitable, ou s'ils ont bouclé le secteur. Prenez de quoi vous défendre sérieusement. Si c'est un guet-apens, autant prévoir. Des volontaires ?
Silence gêné pendant de longues secondes, après quoi une main se leva timidement au dessus des têtes mal rasées.
— Soldat ?
— Soldat Arnaud Mesquier, sergent. Je veux bien intégrer ...
— Oui ou non ? Coupai-je froidement.
— Ou ... oui, sergent.
— Parfait. Qui d'autres ?
Comme par miracle, le nombre de mains augmenta soudain en des proportions un peu plus encourageantes.
— Dugommier ... Martin ... et ?
— Soldat Alexandre Erquin, sergent.
— Vous irez avec Martin, en direction de la BNF. Dugommier, avec Mesquier, direction Saint Lazare. Je veux un contact radio régulier, disons... toutes les minutes, moins en cas de problèmes. Verquez, vous vous chargez d’installer le poste de transmission ici même. S’il n'y a rien dans un quart d'heure, vous vous retrouvez tous ici.
— Bien, sergent.
— Je vais essayer de contacter l'État-Major.
Personne ne répondit. Peut être parce que ça voulait dire que le dernier sous-off' en état de commander les treize hommes de cette double unité risquait sa peau pour des pourris administratifs qui ne comprenaient jamais rien, ou pire, de travers. De dépit, je montai les marches, avant de me retrouver à l’air libre. À présent, c’était une neige abondante et immaculée qui recouvrait la place. On ne distinguait rien à plus de dix mètres. Le seul avantage que j’y voyais, c’est que personne ne se risquerait à viser dans la neige. Mais par prudence, je refermai le casque qui protégeait ma tête en cas de combat. Les infrarouges sont très efficaces, quelle que soit la météo.
Je me connectai sur le serveur militaire de secteur d’une simple pensée. Des dizaines de pages défilèrent devant mes yeux, immatérielles, laissant la lumière naissante pénétrer au plus profond de ma rétine silicée. En quelques secondes à peine, j’avais franchi plusieurs niveaux de sécurité sans un seul mot de passe, me retrouvant directement en attente sur l’holotranspondeur du lieutenant-colonel Debussy. C’était une urgence de premier ordre, et il ne traîna pas pour allumer l’appareil. Son teint gris et ses yeux verts d’eau illuminaient le minuscule espace entre mes yeux, le casque de protection et l’extérieur. Une mine désabusée lui mangeait le visage, ne lui tirant qu’un regard endormi et franchement antipathique.
— Je peux savoir à qui j’ai à faire ?
— Sergent Christian Dernaz, unité B-R59, secteur à circulation restreinte n°17, mon colonel.
— Ah oui, ça y est, je me souviens de vous. C’était vous le cyborg en costard à Noël, à l’hôtel ...
— Excusez-moi de vous couper mon colonel, mais on est dans de sales draps sur Bercy. J’ai un homme gravement touché, et le sergent Armestri a été abattu par un sniper.
— Attendez, vous parlez bien d’Armestri le prolo napolitain ?
— Oui, celui-ci. Et je suis seul à devoir gérer deux unités qui ont dû abandonner leurs positions pour sauver leurs peaux.
— Bien, répondit- il pensivement. Je réunis mon équipe en urgence et nous vous recontacterons sous peu.
— Mais ! Et mon soldat blessé ?
— Nous vous enverrons une équipe médicale sur place.
Et la communication fut rompue.

Mes hommes étaient revenus. Apparemment, la ligne n’avait pas servi depuis plusieurs mois, mais les dispositifs d’appels d’urgences pour les convois militaires étaient en bon état. Ce qui nous laissait une marge de manœuvre confortable pour rapatrier, dans le pire des cas, Kalaz sur Châtelet. Après m'être connecté sur le satellite militaire français, m'étant assuré qu'il n'y avait pas d'autres tireurs dans le coin, tout ce joyeux monde remonta là haut. Il était déjà aux environs de onze heures, et je n'avais aucune nouvelle de l’état major de l'Hôtel de Ville. Bien sûr, je m'en doutais un peu. Mais s'ils ne faisaient rien dans les heures à venir, le secteur allait devenir ingérable. Il fallait réintégrer la zone le plus rapidement possible.
— On va faire deux groupes de six hommes. L'un reste sur la Saharienne, l'autre prend en charge le secteur B-63. Un homme à la tête de chacun, qui me fournira un compte rendu heure par heure. Faites comme si c'était une journée ordinaire ...
Les mots sonnaient creux. Là, à vingt ou trente mètres, Armestri gisait dans son sang. J'aurais bien lancé une vanne douteuse à son sujet, en son souvenir, mais l'heure était vraiment grave.
— Et vous sergent ?
— J'attends l'équipe médicale qui viendra récupérer Kalaz d'ici peu. Je vous recontacterai, ne vous inquiétez pas.
Et les deux unités se sont séparées, comme si rien ne s'était passé.
On a marché un peu, avant de se glisser dans le hall d’un immeuble encore debout. Il y avait une épaisse couche de crasse au sol, ce qui ne nous empêcha pas de nous y assoir. Lui il grimaça un peu, regardant de temps en temps le linge souillé.
— Vous croyez vraiment qu’ils vont venir ?
Je restais silencieux un long moment, avant de lui répondre avec un sourire amical.
— Je l’espère...
— Vous n’avez pas répondu à ma question, sergent.
Je me mordis la lèvre. Bien sûr que je n’y croyais pas. Je voulais qu’il s’en tire, mais je n’avais pas le cœur à y croire. La dernière fois qu’on avait demandé une équipe médicale, il avait fallu attendre plus de soixante heures. Entre temps, le pauvre gars y était passé, bouffé par une gangrène gazeuse foudroyante. Il avait terriblement souffert, et j’avais dû l’achever.
Je le voyais encore, avec son regard suppliant, et nous, une dizaine, à ne rien pouvoir faire d’autre que le regarder agoniser, lentement. Et le plus ironique, ce fut lorsqu’enfin l’équipe arriva. On avait eu beau recontacter l’état major pour annuler l’intervention, ils sont quand même arrivés. Dire que l’accueil fut explosif était un euphémisme. La juste récompense de leur inaptitude. Par la suite, on a eu vent que le médecin avait été viré pour incompétence et mise en danger de ses patients. C’était un juste retour des choses pour nous. Malheureusement, ça avait couté la vie à un homme d’à peine vingt ans.
— Tu connais la réponse, Ahmed.
Il baissa les yeux, et un chapelet de larmes s’écoula sur le sol, dans un rythme incertain.
Il ne dit rien. Et moi, j’étais vraiment gêné. Jamais plus je ne voulais revivre cette torture.

On est resté là une bonne demi-heure, à contempler la neige qui ne cessait de tomber. On évitait soigneusement de se regarder dans le blanc des yeux. Je commençais vraiment à douter de ce que m’avait dit le lieutenant-colonel, quand un puissant ronronnement nous tira de notre léthargie. La poussière crasseuse vibra, se décollant en de fines particules qui ondulaient doucement. Je me levai, n'osant espérer qu'enfin, ils nous aient pris au sérieux. Peut-être même quelques hommes supplémentaires avec un peu de chance. Je sortis du hall, Kalaz derrière.
Le Transporteur s'était posé. Le puissant moteur à plasma vibrait sourdement, de pâles halos bleutés s'échappaient des tuyères latérales. Sa forme ronde et anguleuse à la fois, sa peinture grise et noire, les courtes ailes mobiles repliées, tout dans cette machine de guerre rappelait les antiques hélicoptères depuis longtemps cloués au sol, faute de carburants. Le bruit baissa en intensité par à-coup, devenant souffle sourd.
La porte arrière était descendue, et à ses pieds se tenaient trois hommes. Deux étaient visiblement des militaires réguliers de l'armée, droits dans leurs bottes et leurs tenues rutilantes. Le troisième portait un simple treillis, mais une bonne quantité de médailles sur son poitrail semblait vouloir dire "je suis au dessus de vous". Ce n'était ni plus ni moins que le lieutenant colonel Debussy. En me voyant marcher vers lui, il sourit.
— Mes respects, mon colonel.
— À vous de même, sergent.
— Qui sont ces hommes ? demandai-je en leur adressant un regard furtif
— Les sergents Onfroy et Moulin. Ils assureront le commandement des unités B-R59 et B-R63.
— Attendez, vous voulez dire que ...
— Vous êtes relevé de vos obligations sur le secteur. Nous souhaitons en savoir plus sur l'attaque de ce matin.
— Et ... le soldat Kalaz ?
— Il va nous accompagner également. Une équipe médicale se chargera de lui à l'Hôtel de Ville.
— Mes hommes ne sont pas au courant ... Qui va ...
— Ne vous inquiétez pas. Nous nous en occupons.
Son regard se voulait chaleureux, mais il était insistant.
— Bien.
Surpris, je montai à sa suite dans le Transporteur. Ce n'était vraiment pas ce à quoi je m'attendais.

Typhoon666
Niveau 10
05 septembre 2012 à 20:04:40

C'est sympa de le remettre en version corrigée.
Après,j'ai déjà lu une bonne partie de l'autre donc du point de vue du texte pure je n'ai rien a ajouter.
Bonne initiative toutefois :ok:

orpheen
Niveau 8
05 septembre 2012 à 20:18:49

Euh je sens que je vais être désagréable…pas frapper mais voila mon ressenti, et je continuerais mais contrairement à Typhoon666 il m'est plus dure de prendre part à cet histoire.

« que lui donnaient les flocons hivernaux » bah moi jamais eu la chance de voir des flocon printanier..

« dans ce qui autrefois fut l’arène des émotions » c’est quoi ça ??? cela se situe où ???

« Un toit de tôle, éventré par l’épée invincible du temps » la métaphore est soit subtil soit mal construite

« Aujourd’hui, tout était vide » je reviens la dessus après avoir lu la suite, vide.. tentes, unités de contact satellite,matériel…

« je n’ai pas décollé mon cul de cette chaise » puis après « Moi, j’avais déjà tout embarqué » comment il fait je veux pouvoir réussir le même exploit

« Je me lamenterais pas » je ne me lamenterais pas »…bon je fais aussi souvent cette erreur

« pour ce qu’il me reste d’humain » construction de la phrase original…

« Trois ans depuis le début. On assassine l’Innocence d’une paix éphémère à coup d’attentats meurtriers dans le métro, lentement, » direct dans l’action enfin les évènements qui sont relatés, pas évident avec tout ce qui suit

« Un grand quadrilatère coincé entre le quai et le Boulevard de Bercy, la rue de Charanton, jusqu’au périph’ Sud. C’était grand » Tu dis déjà un grand quadrilatère, donc le « c’était grand » ne sert à rien ou alors mieux le formuler.

« c’était le palais omnisports de Bercy, prisonnières des plaques de bétons » un palais

« Mes gars prenaient un café le matin, vers neuf heures et demie. C’était un rituel, presque un pèlerinage sacré, » un rituel oui un pèlerinage mot mal utilisé

« on est sorti de ce maudit ventre de ferraille qui pourrissait dans le vent » tu passes de la narration au vécut et l’on ne comprends pas pourquoi ils sortent de ce lieux

« d’ascenseur social » euhh un ascenseur pour les étages physiques une ascension pour gravir les échelons hiérarchiques…

Les points et les virgules sont souvent mal usités…

« Lui, il était brun, bien foutu et blagueur. Un sacré sens de la rpartie comme de l’insulte sarcastique » le sergent ??

« lui n’hésitait pas à narguer les membres de gangs » un « mon » peut-être

« La nuit semblait tenir la partie avec le jour. Une semi-pénombre à peine troublée par la météo chaotique » normalement c’est entre chien et loup que l’on dit et une météo chaotique pas "la"

« Les immeubles à côté n’étaient pas d’un grand secours. La plupart blessée, » les immeubles ne sont que rarement voir jamais blessée et encore moins au féminin

Après faut que je continues... mais bon comme je dis c'est tellement plus facile de critiquer que de faire...

--crazymarty--
Niveau 10
05 septembre 2012 à 20:28:06

Disons que ce sont des remarques sur le style plus que sur le fond. Je respecte tout à fait ton point de vue, même si je ne le partage pas. je pense qu'il est inutile d'argumenter sur tel ou tel rendu, telle ou telle image / métaphore parce que cela tient plus de la sensibilité de chacun davantage que d'une imperfection, ou d'un petit quelque chose à travailler ... Mais j'entends :-) .
En tout cas, merci de ta lecture très attentive.

Gouloudrouioul
Niveau 10
05 septembre 2012 à 21:04:43

Hey crazy ! Remember me ?
Si je me rappelle bien j'avais déjà lu la première version, mais ton repost va me servir de prétexte pour tout lire en entier :-d
Donc en bref, je remarque que je me souviens déjà pas mal de l'histoire, même avec le temps qui est passé, preuve que ça m'avait quand même bien marqué à l'époque.
Je sur-adore ton style. On rentre directement dans le récit, c'est simple, beau et efficace. Je ne sais pas si tu as amélioré des choses... sans doute. En tout cas je reste sur le sentiment d'excellence d'il y a 3 ans.
Pas grand chose d'autres à dire, en fait. Quand y'a pas de défauts, y'a pas de défauts.
Content de te revoir en tout cas :oui:

--crazymarty--
Niveau 10
05 septembre 2012 à 21:08:28

Hey, ouais ! T'es pas mort Goul' :o)) ? je suis ravi de te revoir :hap: ...
Au niveau du fond, il n'y a pas eu grand chose de changé. C'est surtout les fautes que je compte gicler petit à petit. Ça, le poster en entier, en profiter pour enchainer avec la suite ...

Et toi, tu deviens quoi :-) ?

Gouloudrouioul
Niveau 10
05 septembre 2012 à 23:06:42

Eh ben je viens de rentrer à la fac (il est loin le temps de la troisième :D ) et accessoirement de reprendre l'écriture cet été après un long trou d'inspiration de 3 ans. Du coup je reviens un peu parmi les vivants aujourd'hui pour me motiver à poster ce que je fais :-d
D'ailleurs je devrais pas tarder à le faire :oui:

C'est cool de voir que t'es toujours dans le coin en tout cas ! Et de voir que t'as pas lâché Alter Ego. Tu prévois de le faire publier d'ailleurs un de ces jours ?

--crazymarty--
Niveau 10
06 septembre 2012 à 00:11:16

Théoriquement, pour le courant du mois, on entâme la dernière relecture. Et après, je vais tenter quelques maisons d'éditions :-) ...

Gouloudrouioul
Niveau 10
06 septembre 2012 à 00:21:52

Waw, bonne chance. J'espère vraiment que ça marchera pour toi et que je pourrai un jour tenir Alter Ego entre mes mains :oui:

--crazymarty--
Niveau 10
06 septembre 2012 à 00:49:59

En effet, ça serait cool :ange: ...

--crazymarty--
Niveau 10
07 septembre 2012 à 08:03:46

Contrairement à ce que j'ai dit, pas de suite avant la semaine prochaine. Mon relecteur est overbooké, et on le comprend plus qu'on ne le blâme ... Patience, ça finira bien par vous tomber tout cuit dans le bec, bande de goinfres :noel: ...

Ed_Wick
Niveau 10
07 septembre 2012 à 17:38:40

Je lis ! :)

Remarques sur l'écriture (voc. / fluidité) :d)

"l’arène des émotions" => C-à-d ?

"éventré par l’épée invincible du temps" => Je trouve ça assez maladroit comme métaphore. J'aurais vu quelque chose de plus sobre comme "croulant sous le poids du temps qui passe et détruit tout sur son passage".

"Je m'appelais Christian. Matricule Kris-30.06.66. Sergent de l’unité B-R59. Et j’étais là. Au milieu de ce putain de merdier." => J'aime beaucoup, voilà qui lance bien le truc et donne envie de lire la suite.

"Bâtiments refaits façon mitrailleuse gros calibre. Tour Eiffel décapitée. Assemblée nationale emmurée. Barrages à n’en plus compter. Lignes de métro coupées. Et le silence. Souvent. Il y a eu tant de morts pour rien, tant de sacrifices vains qui ont, à jamais, détruit l’image rose bonbon de l’ancienne capitale des cons." => J'adore ; ton perso a du caractère, c'est bien.

"Mais la roue du progrès a tourné." => C-à-d ?

"La zone de combat dix-sept, la Saharienne comme on l’appelait, c’était un désert humain. Un grand quadrilatère coincé entre le quai et le Boulevard de Bercy, la rue de Charanton, jusqu’au périph’ Sud." => J'aime beaucoup ces phrases soient courtes soient entrecoupées de virgules, ça colle à merveille au rythme de lecture et au caractère pragmatique du personnage.

"on est sorti de ce maudit ventre de ferraille qui pourrissait dans le vent." => :coeur:

"et qui se retrouve à éponger la merde des Français bien lotis." => qui se retrouvait.

"de la rpartie" => de la répartie.

"comme de l’insulte sarcastique" => comme du sarcasme, tout simplement, non ? l'insulte sarcastique c'est... étrange.

"un des rares ou l’on pouvait" => où.

"la couleur ambrée du café noir encore bouillant" => du café encore bouillant ; le "noir" nuit à la fluidité je trouve.

"La plupart blessée" => blessés ; même si je trouve ce terme assez inapproprié pour des infrastructures.

"d’un ancien combat" => d'anciens combats ; pour souligner le caractère continuel de la terre meurtrie, non ?

"Les habitudes dangereuses sont les meilleures" => Les dangereuses habitudes sont les meilleures sonne mieux ; plus fluide.

"Ce petit caillou méditerranéen qui lui roulait sur les dents, si discret et si mélodieux." => :coeur:

"Ma conscience humaine s’arrêta de vivre son cours linéaire." => Beaucoup trop scientifique pour être utilisé en pleine action.

"Un petit déclic raisonna un court instant" => résonna.

" L’interface visuelle m’indiqua qu’il venait de délivrer toute une série de drogues compensatrices. Telle une vague venue du fond de la mer, je sentais leurs effets agir aussitôt. Mes muscles se tendirent, mon esprit s’affuta encore. L’efficacité prévalait sur le sentimentalisme, préservant par la même mes facultés de discernements ." Jouissif et effrayant par la même occasion.

"et en ressortit un bon nombre plusieurs petits paquets" => enlève le "un bon nombre", donc.

"Alexandre Erquin" => Ils ont tous des noms de merde, bordel. :rire:

"Je me connectai sur le serveur militaire de secteur d’une simple pensée. Des dizaines de pages défilèrent devant mes yeux, immatérielles, laissant la lumière naissante pénétrer au plus profond de ma rétine silicée. En quelques secondes à peine, j’avais franchi plusieurs niveaux de sécurité sans un seul mot de passe, me retrouvant directement en attente sur l’holotranspondeur du lieutenant-colonel Debussy. C’était une urgence de premier ordre, et il ne traîna pas pour allumer l’appareil. Son teint gris et ses yeux verts d’eau illuminaient le minuscule espace entre mes yeux, le casque de protection et l’extérieur. Une mine désabusée lui mangeait le visage, ne lui tirant qu’un regard endormi et franchement antipathique." => J'adore ; description idéale.

Commentaire général :d)

J'aime beaucoup. Les descriptions de ce Paris futuriste et du développement technologique sont travaillées de sorte à paraître crédibles tout en restant facilement compréhensibles.

Les personnages sont tous introduits de manière intelligente ; pas seulement le "héros" très charismatique, mais aussi les autres.

L'histoire est encore trop floue pour songer à la commenter, mais ce début explosif donne envie d'en savoir plus, surtout avec cette arrivée étrange de Debussy.

Pour l'instant ça me fait penser aux cinq premières minutes d'un blockbuster : qui en met plein la vue avec maîtrise.

J'ai hâte de lire la suite. :)

_dexter75_
Niveau 10
12 septembre 2012 à 01:21:24

ce commentaire, ne me sert qu'à t'apprendre que j'ai enfin pu lire ce premier chapitre. et j'aime beaucoup :ok:
je te ferai une vrai critique demain mais là, je suis trop fatigué pour t'en faire une contructive :sleep:

--crazymarty--
Niveau 10
12 septembre 2012 à 15:29:27

Bah merci quand même. En dépit de la brièveté de ton commentaire, celui-ci me fait chaud au coeur :-) .

_dexter75_
Niveau 10
12 septembre 2012 à 17:18:33

que dire, après tant de choses déjà dites par mes Vdd :(
je me passerai, et j'espère que tu ne m'en voudras pas, de t'apporter des conseils au niveau des formulations, car je n'en vois pas de meilleurs, ou du moins je n'en ai pas trouvé avec mon niveau ( qui n'ont pas déjà été dite).

je m'attaquerai donc au fond. tu nous offres une histoire narré par un personnage charismatique, qui franchement donne beaucoup de crédit à l'histoire avec sont caractère bien trempé.

"Bâtiments refaits façon mitrailleuse gros calibre. Tour Eiffel décapitée. Assemblée nationale emmurée. Barrages à n’en plus compter. Lignes de métro coupées. Et le silence. Souvent. Il y a eu tant de morts pour rien, tant de sacrifices vains qui ont, à jamais, détruit l’image rose bonbon de l’ancienne capitale des cons."

ce passage déjà cité par Ed, en est déjà un bonne exemple. il juste :coeur: + :bave:

les descriptions sont donc agréable et très bien mené, sans être lourde, ce qui est un bon point. on se situe très bien l'histoire et en tant que parisien, c'est plutôt agréable de redécouvrir les lieux que tu cites.

les personnes sont bien présenté, originaux et tout comme pour le caractère de ton perso, le leur rajoute un plus au récit.
petite déception à noter, voir le sergent Armestri disparaitre sans qu'il ne nous faite une de ces fameuses blagues est dommage :o))

bref, ton style est vraiment sympathique et on vois bien que tu maîtrise avec une certaine aisance ton récit. il en ressort une petite touche personnel très agréable et je lirai volontier la suite :-)

bluelab
Niveau 5
16 septembre 2012 à 00:10:01

Re Crazy!

--crazymarty--
Niveau 10
26 septembre 2012 à 14:00:53

II.

« Souvenez-vous toujours de ce jour maudit. Celui où le feu et le fer, armes terribles, ont répandu le sang de tant de nos femmes, de nos maris, de nos enfants, de nos amis, de nos proches. Ce jour où le lien de paix que nos aïeux ont tant espéré de voir un jour s’est rompu dans des larmes de sang. Souvenez-vous de cette tristesse et de cette colère qui sourdaient dans nos cœurs, brisés par cette tragédie ».
Thibault L. Ferry, ministre de l'Intérieur, discours du quinze octobre deux mille soixante-dix-huit.

La laideur. La laideur la plus infâme, voilà ce que représentait pour moi l’Hôtel de Ville. Carcasse corsaire calcinée, debout au milieu des ruines tassées par la pluie, où la rouille avait fini par teinter d’un éclat sinistre la pierre blanche d’antiques immeubles. Un bâtiment austère, écrasant, pompeux, et franchement laid. Une tache qui, pour mon plus grand déplaisir, n’avait pas encore disparu des restes gris de Paris. Une bonne partie des quais avaient flambé pierre après pierre, n’offrant plus qu’un paysage lisse et mortifiant des bords de la Seine. La seule chose qui émergeait à travers les ruines froides, c’était ce foutu bureau d’état-major. Les planqués, bien au chaud dans leur hôtel post-communard, avaient échappé au carnage de l’année deux mille quatre-vingt-huit.
L’intérieur du monstre était d’une tristesse incroyable. Du blanc, du gris, et du beige. Pas d’autres couleurs, à part celle des vitres noircies de cendres et le noir des escaliers à demi branlants. Je n’aimais pas l’Hôtel de Ville. Je crois bien que je ne l’aimerais jamais, et de toute façon, c’était bien le cadet de mes soucis. Debussy n’y fit pas attention. Pour lui, c’était seulement un minable palais de technocrates, un purgatoire où se construisaient de futiles illusions de promotions, de grades supérieurs et de promesses d’argent immatériel.
On a traversé des couloirs, des salles anonymes remplies de personnes anonymes, où des fichiers anonymes s’échangeaient entre ordinateurs anonymes, dans un but anonyme et purement formel. Juste regarder un peu, pour se rendre compte qu’une guerre n’est pas faite de papier, mais de chair et d’acier. On avait un peu tendance à l’oublier.
Debussy s’est arrêté devant une porte à moitié pourrie. Un mouvement d’épaule ajusté, dix visages inconnus. Des noms, des grades, des saluts circonstanciels, un joli garde-à-vous, et nous voilà assis. Peut-être qu’enfin, le papier va s’animer. Le spirituel des récits s’incarnera-t-il dans la voix d’un soldat ? La comédie était si grotesque, si facile à jouer. C’était d’un pitoyable, un numéro sans queue ni tête de mauvaise facture. Type d’armes utilisées ? Chargeur ionisé. Combien d’hommes ? Deux, peut-être trois au vu des angles de tir. Hypothèses ? Hommes du « Libertad Hombre », du « Patriote », du « Black Control » ou de n’importe lequel des seize groupuscules terroristes connus. Objectifs militaires identifiés ? Contrôle de la zone spéciale 17 (secret défense). Pertes connues : Sergent Armestri, 3éme Bataillon d’Infanterie, groupe secteur B-R59. État de la victime ? Décédé à 9h32, secteur nº 17. Blessés : Soldat Kalaz, groupe secteur B-R63. Blessure profonde main droite. Actuellement pris en charge par le service de soins intensifs. Bilan intervention militaire ? Trois hommes abattus, dont deux snipers ennemis. Sécurisation souhaitable dans les vingt-quatre heures. Repos, sergent Dernaz.
La désagréable impression de n’être qu’un élève face à ses professeurs pour un oral de bac se manifesta. Suivie de l’habituel « nous allons discuter de votre cas », de la salle qui se vida aussitôt, et moi, restant tout seul. Je soupirai. Non, vraiment, c’était du foutage de gueule. Comme si on pouvait gérer plusieurs kilomètres carrés à quinze hommes. Si au moins, ces deux foutus snipers pouvaient enfin faire bouger les choses… Autant croire au père Noël. Je regardai mes mains. Elles étaient encore humides de la neige fondue, brillant sous l’éclat froid du néon suspendu au-dessus de ma tête. Je bougeai les doigts. Un faible bruit de vérin, minutieusement lubrifié, chuinta. Peut-être qu’une révision serait à prévoir. D’apparences, toutes les pièces métalliques qui constituaient mes appendices brachiaux semblaient en bon état. Lisses, nettes, à peine rayées sur ce qui fut autrefois une pulpe rosée et sensible. Je serrai les poings. Tout était si différent à présent.
La porte s’ouvrit. Tenues d’officiers ajustées, mines neutres. Alors, on s’assoit pesamment. Debussy me tend un papier griffonné par ses soins, avant de s’éclaircir la gorge.
— "Le conseil martial, représenté par les officiers sus-cités, et au vu des actes militaires et de bravoures par lesquels vous avez honoré vos officiers, a proposé, après un accord mutuel et unanime, que vous, Sergent Dernaz, anciennement chef du groupe secteur B-R63, soyez promu major, PC Châtelet-Beaubourg, chef des groupes secteurs suivants : C-B61, C-B62, C-B63, C-B64, C-B65, et de l’unité spéciale C-B00. Votre affectation, après avis du chef de cabinet « Hôtel de Ville », prendra effet le vingt et un janvier deux mille quatre-vingt-dix à midi. Les modalités et les particularités de votre affectation vous seront communiquées dans la journée, et le major Derbier vous réceptionnera au centre de commandement Châtelet Beaubourg le vingt janvier deux mille quatre-vingt-dix à partir de vingt-deux heures. Une prise en charge médicale et un check up complet seront effectués dans les vingt-quatre heures. Avec nos plus sincères remerciements et nos encouragements. Le conseil martial."
Il posa la feuille devant lui, avant de m’adresser un sourire.
— Félicitation, Major Dernaz.
— Euh… merci, bredouillai-je.
Tu parles d’une surprise. Major. Ils savent vraiment plus quoi faire pour vous faire monter en grade. Bon, il est vrai que j’avais sauvé une petite dizaine de soldats quelques mois auparavant, même si à mes yeux cela ne suffisait pas à justifier cette promotion.
— Si vous le souhaitez, je peux appeler l’équipe médicale, major. Il y a pas mal de monde aujourd’hui, surtout des civils en fait, et je…
— Ne vous inquiétez pas, ce ne sera pas nécessaire.
— Mais vous devez passer le check up, Dernaz.
— Je sais. C’est pour ça que je vais faire la queue comme tout le monde.
Pas plus hypocrite qu’un autre. Ils m’ont remis le joli petit papier couleur beige passé, et je suis sorti. Des couloirs, des salles, je finis par me perdre. Obligé de demander mon chemin deux fois, avant de me retrouver dans un vestibule néo-roman du dix-neuvième siècle, à moitié mité par l’humidité et le salpêtre. Et bien entendu, bourré de monde. On était si serré là dedans qu’en comparaison, le kiosque de Bercy, c’était l’hôtel quatre étoiles. Pas plus hypocrite qu’un autre. J’ai juste eu à brailler par-dessus la foule « militaire, laissez-passer », et cinq minutes plus tard, j’étais dans une salle d’attente à peine moins minable.

Le sentiment fut bref. À peine dura-t-il quinze, vingt secondes maximum. Plus qu'un sentiment, c'était la sensation d'avoir vu quelque chose qui n'avait pas vraiment existé et qui s'était dressé, comme un arrière-goût délicat aux saveurs d'épices et de rose. J'imaginai et je me représentai la robe, un tissu souple, léger, couleur écru, qui se plissait maladroitement. Remonter sur ses hanches un peu larges, ses seins tombants, son dos constellé de nævus. Et plonger mes yeux dans les siens, à peine suggérés, comme deux trous à la face d'une statue passéiste.
Rappel douloureux d'un passé esquissé à la sanguine, la figure de cette femme me ramenait à un sentiment de déjà-vu, déjà vécu. Comme un miroir, elle renvoyait l'image inversée d'une réalité. La réalité d'un passé que je ne pouvais pas encore appréhender et qui pourtant, à cet instant-là, tissait déjà la trame du drame futur.

On aurait dit que la réalité s’acharnait sur moi. Déjà, dans ce conflit où je ne me retrouvais plus. Des idées, des valeurs en lesquelles je n’avais plus foi. Peut-être le hasard m’avait-il distribué un mauvais rôle sur cette scène de la Vie ? Peut-être, mais déjà, comme à chaque fois que mon corps me rappelait le mur qui me séparait des autres hommes, mon cœur se serra. Pas assez pour percer l’armure polie où une vie s’accrochait. Pas assez pour qu’on découvre cette faiblesse. Mais juste assez pour que j’en souffre.
Et pourtant. Comme toi, je suis né d’une union aléatoire entre deux individus humains mâle et femelle. Mélange des gamètes, croissance intra puis extra-utérine. Tu passes du berceau au landau, du landau à la crèche, à la maternelle, au primaire, au collège, puis au lycée. Pas d’histoires, à part celles du cœur, des potes, des jeux vidéo, des cuites, des drogues légères, des soirées à se téléphoner, des parents à te gueuler dessus par pur acquis de conscience. Et puis voilà, un jour, tu deviens majeur. Tu as le permis, la caisse qui vient avec après avoir trimé un été durant. Fac d’économie, pas de soucis. Filles, alcool, drogues, cours, vacances.
Et puis… et puis c’est là que s’arrête toute ressemblance avec la vie d’un individu lambda. Sa vie ordinaire, il aura peut-être la chance de la continuer. Cadre, prof, technicien, ouvrier, qu’importe sa profession. Il finira en retraite, à râler, à économiser, à regarder d’un œil vide la télé en mangeant le soir, à se croire heureux. Il changera sa télé tous les cinq ans, si elle ne le lâche pas avant. Il aura des enfants, qui à leur tour auront des enfants. Alors, au soir de sa vie, il se retournera. Il se dira qu’il a fait comme il a pu, et il se laissera choir dans l’étrange état d’anonymat auquel se complaisent les défunts. Une fois l’administration prévenue, ce ne sera plus qu’un nom oublié, un souvenir parfois ravivé, avant de s’éteindre complètement.
Ma vie, par définition, n’est pas ordinaire. Le fait même que je sois encore en vie, dans ce foutu cabinet d’attente, tient du pur miracle.
J’étais en vacances depuis un bon mois. L’été frappait à ma porte, et je me prélassais dans des draps qui n’avaient que trop vécu. La vie m'appelait au-dehors, et malheureusement, le soleil avait
caché la mort. Le conducteur n'avait pas bien regardé. Il s'était trompé d'entrée sur l'autoroute, avait pris la chaussée en sens inverse. Et j'étais devant sa voiture. La mienne ne supporta pas le choc. Trop vieille alors, mon pauvre petit corps trop maigre s'est tordu en se brisant partout à la fois. L'essence avait coulé sur le bitume trop chaud. Un simple court circuit au mauvais endroit.
Ils m'ont sauvé, malgré tout. Mais pour survivre, il n'y avait qu'un seul choix à faire : remplacer mon corps là ou il ne pourrait plus vivre. J'étais loin d'être une première médicale, même à cette échelle. Comme les Français commençaient à avoir l'habitude, je me retrouvai dans un labo sans nom le soir même, dans un coin reculé des Alpes. Bonne surprise au réveil : ton corps, il n’est plus. Juste du métal, du carbone, du silicium et du verre. Batterie de tests, et puis voilà. La guerre civile éclata, je me suis enrôlé malgré moi. Largué en plein Paris, avec un univers que je ne connaissais pas. Il fallait bien que j’assure ma subsistance, ne serait-ce qu’à cause des frais nouveaux qu’entrainait cette nouvelle vie improbable.
Dire que je n’ai pas souffert serait mentir. Jamais je n’ai pu me faire à cette vie étrange. Il fallait relever la tête, continuer d’avancer malgré la mort autour, faire semblant d’être inébranlable.

Le médecin se pointa. Au jugé de ses lunettes fines et de sa coupe brosse impeccable, il n’était pas bien vieux. La trentaine, à tout casser. Il avait un joli porte-document noir, sobre, plastifié, même pas taché par le café. Il toussa un bon coup, et s’avança vers moi.
— Soldat ? demanda-t-il d’une voix éteinte.
— Major Dernaz, m’empressai-je de lui répondre, fier.
— Je me fous de votre grade, lâcha le médecin.
Ça a jeté un froid. Je l’ai suivi. Il m’a casé dans un recoin glauque, avec la moitié des néons cramés et des planches de placo à peine peintes entre chaque table d’examen. Je me sentais con, allongé sur la table. Je devais être le seul à avoir un corps mécanique en quasi-totalité ici. Je n’osais pas imaginer le prix que cela représentait pour le matériel, quand une pauvre prothèse de bras standard coûtait plus de dix mille euros GC.
— Ouvrez la bouche.
Je m’exécutai, il observa.
— Parfait.
Quelques notes furent jetées sur le papier un peu jauni. Il me regarda fixement, avant que je ne le surprenne, et qu’il ne fasse mine de s’intéresser grandement à ses écrits.
Il farfouilla dans sa poche. Je l’ignorai aussitôt, tandis que l’interface médicale préparait son rapport mensuel complet. Le diagnostic fut rapide : tout allait bien.
Sans prévenir, il me piqua dans le cou. Je sursautai.
— Désolé, marmonna-t-il.
Il se contenta de me plaquer une compresse avec un sparadrap d'un aspect peu engageant. Une mauvaise langue aurait dit qu'il était périmé depuis très longtemps. Le pauvre bougre annota autre chose sur sa feuille, avant de me faire signe de me lever. J'ai bien cru que j'allais exploser de rire en voyant que je le dépassais d'une bonne tête.
— Votre rapport interne ?
— Excellent, lui répondis-je en lui tendant une minuscule puce.
Il sortit un minuscule boitier de son autre poche et clipsa l’interface. Une diode clignota un court instant, après quoi il me rendit le minuscule mouchard.
— Merci.
— Je ne sais pas si vous connaissiez le prothésiste du centre, mais il n’exerce plus.
Je me contentais de hausser les épaules.
— J’espère que vous avez un fournisseur à l’extérieur. Il y a de grandes chances que personne ne reprenne la place...
Le prothésiste n’était qu’un lieutenant formé sur le terrain pour réparer en urgence des cyborgs dans mon genre. Il bricolait comme il pouvait, et même si son travail était respecté, il lui manquait la finesse nécessaire pour ce genre de pratique. M’étant retrouvé face à une avarie motrice majeure sur un bras, je n’avais eu d’autre choix que de le contacter. Bien sûr, il était arrivé rapidement, avait rebranché le moteur sur un circuit hydraulique secondaire et mon bras refonctionnait. Enfin..., il avait refonctionné une poignée d’heures. Le système était ainsi fait que l’armée avait quelques économies à faire. La technologie cybernétique devait en faire partie.
Faute de cybernéticien militaire, j’avais dû me rabattre sur quelqu’un de moins « officiel ». Au début, j’avais bien eu quelques réticences, mais maintenant, je ne jurais que par lui. Il s’appelait Febus Drust. Pour l'état-major, au final, ça ne changeait rien. Tout ce qu'on me demandait, c'était d'avoir des systèmes effectifs, fiables, et précis.
Alors, avec mon super pansement que j'arrachai aussitôt seul et ma cape mitée qui pendouillait au-dessus de mes pieds botte de métal, je m'échappai de cette cage. Tant pis pour la neige. Tant pis pour le métro. C'était un mal nécessaire.

--crazymarty--
Niveau 10
26 septembre 2012 à 14:01:27

Un coin de rue minable, à l'angle de Tolbiac et de Verginaud. Devant la devanture rouillée, la neige fondait par plaques en une substance grise et collante. Loin, de chaque côté sur la rue de Tolbiac, des cadavres de voitures et d'Hommes, recouverts par la neige. Le froid se faisait plus dur chaque seconde.
— Entrez !
La sonnette de la porte se tut. Un sourire illumina son visage pâle et fin.
— Chris', ça faisait longtemps !
Il me serra la main avec une joie sincère. Ses yeux bleus pétillaient de cette malice légère que ses ancêtres avaient ramenée de l’Est.
— Moi aussi, Febus, lui répondis-je d'un ton détaché.
— Viens avec moi. J'ai pas mal de réserve ce mois-ci. Je suis sûr qu'il y aura quelque chose pour te faire plaisir.
Je le suivis. La boutique n'avait toujours pas changé, et c'était toujours aussi sale. Ça me rappelait l'épicier au coin de ma rue, quand gamin, on allait chercher des chewing-gums. La même peinture écaillée au mur, les mêmes ampoules blanches qui lançaient leurs éclats sur des rayonnages à moitié vides. La même vitrine, crasseuse, où quelques affiches se bousculaient des dates de spectacles depuis longtemps annulées. Même comptoir, sans l'énorme ordinateur qui trônait comme le dieu des nanotechnologies en son royaume. Des câbles en plastique et en alu couraient sur les sols, les murs, le plafond. Et puis tout au fond des deux rayonnages, une porte. Toujours ouverte. Febus m'invitait toujours à venir faire un tour. Surtout quand je n’étais pas venu pas lui rendre visite pendant un bon moment.
La pièce derrière était encore plus sale. Des moutons de poussière au sol, mélangés à de l'huile lubrifiante et d'autres substances énigmatiques. Pêle-mêle, on pouvait y trouver : vis, plaques de métal, diodes, circuits imprimés, fioles de produits pharmaceutiques, restes de nourriture, papiers, crayons, câbles d'alimentations, câbles Ethernet, câbles USB, quelques composants inconnus, un ventilateur usagé, clavier d'ordinateur, disque de verres fumés, fils électriques dénudés. Beaucoup de bordel pour se trouver face à ce qui me conduisait ici. Un fauteuil de contrôle. Un joli siège très inconfortable pour tout derrière organique, mais diablement pratique lorsqu'il s'agissait de faire une révision pour un cyborg dans mon genre. Je ne pris même pas la peine de demander, et je m'installai dans le cocon de métal. Deux puissantes pointes métalliques vinrent se ficher dans mes poignets, et plusieurs écrans de PC accrochés au mur s'allumèrent aussitôt. Febus se retourna, lâchant la pièce qu'il tenait tant à me montrer. Son sourire se fit plus fin, plus malin. Peu importe ce qu'il allait trouver, c'était clair que ça me coûterait un max. Il s'installa sur un pauvre tabouret rouillé à l'assise en cuir, enfila un étrange casque qui lui mangeait le haut du visage, dissimulant ses yeux sous des dizaines de diodes changeant frénétiquement de couleur, et passa ses mains dans une paire de gants en métal parfaitement ajustée.
— Une petite ou une totale ?
— Totale, lui répondis-je. Il y a eu de la casse, et je n’ai pas envie de finir en rade.
— C'est parti, lança-t-il en pianotant sur le clavier qu'il venait de ramasser.
Ça a bien duré trois heures. Il fouillait frénétiquement dans sa boutique, cherchant la meilleure rotule robotique, la meilleure articulation d'épaule, le meilleur viseur, les meilleurs senseurs. Le tournevis jouait sur mon corps comme la plume du tatoueur. Mais son œuvre s'avérait nettement plus pragmatique. En prime d'une révision totale du moteur, des « muscles » et du « squelette », j'ai eu droit à pas mal de cadeaux. Ce fut sans aucun doute le moment le plus agréable de la séance.
Il était revenu avec un étrange boitier, minuscule, composé de plaques, de trois diodes bleues et de plusieurs microports.
— Ça, me dit-il, c'est pour ta régularité de paiement. C'est la maison qui offre.
— Et c'est quoi ?
— Une I.A de dernière génération, à architecture quantique atypique. Mon "grossiste" habituel me l'a dégotée dans un lieu un peu "particulier", si tu vois ce que je veux dire...
— Ouais, et concrètement, ça me donne quoi ?
— Ho, trois fois rien, continua-t-il, ironique. Juste une analyse visuelle beaucoup plus rapide, la possibilité de te connecter sur n'importe quel réseau net, privé, militaire, public, ou même de Mars si le cœur t'en dit. Et surtout, de maintenir ton corps éveillé sans ta conscience.
Voyant mon silence perplexe, il enchaîna.
— Concrètement, les parties organiques de ton cerveau pourront se reposer, et la totalité de tes fonctions cognitives se trouvera transférée sur l'implant. Très pratique pour un combat un peu dangereux. Surtout qu'il est bien entendu pourvu d'une unité de rationalisation à haut rendement. Comme ça, plus de soucis de jugement, c'est l'ordinateur qui évalue le risque et agit en fonction de...
— Attends, attends. Tu me dis que ce machin -- je pointai un doigt accusateur sur le boitier -- réfléchira à ma place ?
— Seulement en cas de coup dur.
— Et si mes chefs tombent sur ça ?! T'y as pensé ? Finie la vie pépère que je menais jusqu'ici. Plus besoin de me réveiller, puisqu'ils auront un fidèle petit robot humain à commander !
Les mots "robot " et "humains " résonnèrent entre mes oreilles. Peut-être parce que c'était la génération précédente qui m'avait tiré du pétrin ce matin-là. Peut-être que si j'avais dit non la fois d'avant, je serais mort. Alors, je soupirai de dépit.
— Bon, allez, vas-y. De toute façon, personne ne s'en rendra compte.
— Bien dit, sergent ! Lança-t-il.
— Sauf que maintenant, c'est major Dernaz !
Il leva les yeux au ciel, et attrapa une étrange clé. Plus moyen de faire marche arrière. Et quelques dizaines de minutes plus tard, j'étais devant sa caisse, l'index droit emmanché dans un étrange port-interface pour le payer de ses services. Et malgré les petites ristournes, la facture faisait mal : quarante-six mille sept cent dix-sept euros GC, tous frais payés par l'état-major. En voyant le transfert se faire entre son PC et le serveur bancaire, il afficha un sourire joyeux.
— C'est un plaisir de bosser avec toi, vieux frère. Repasse quand tu veux.
— Pour eux aussi, répondis-je, souriant ironiquement.
— Tu devrais te faire implanter une partie du visage en matériel robotique. Tu gâches complètement ton potentiel neural avec tes deux pauvres yeux organiques...
— Si tu savais ce qu'il y a au fond, tu ne dirais pas ça.
— Bien sûr que Febus, il sait qu'il y a deux rétines synthétiques
au fond. Mais ce n’est pas pareil. Ça forcerait le respect. Et puis, si tu es monté de grade...
— On ne refera pas le monde cette après-midi, d'accord ?
Il me fixa intensément, avant de baisser les yeux.
— Donc on est d'accord. Et s'il te plait, la prochaine fois, trouve quelque chose de plus utile que ton A.I. parce que franchement, ça me servira à rien.
Febus se contenta de sourire, à demi ironique, mais déjà je franchissais le pas de la porte. Ne jamais se dire au revoir, c’était une règle silencieuse.
L’après-midi s’était enfuie. Le soir l’avait suivie, dans la folle course des hommes, de la Terre, du Soleil et de la Lune. Un cœur vivant, disgracieux, avare, et terriblement cruel. Cruel par son impartialité. Cruel, car jamais un faible ne gagne face à un fort. C’est de la rationalité à l’état pur. Implacable, comme ce qui se préparait déjà. J’allais droit dedans. J’allais là où plus personne ne pourrait me faire revenir en arrière. J’y allais, sans le savoir, sans le sentir.

Le crépuscule n’était plus que ce halo mauve dans le ciel lorsque je me rendis compte que j’arrivais sur Châtelet. Un havre relatif de paix, où la propreté des immeubles et des rues contrastait affreusement avec la ruine générale de Paris. Les commerces commençaient à baisser leurs rideaux, mais les étals restaient bien garnis. Ailleurs, quelques centaines de mètres plus loin en réalité, j’avais vu des gamins rachitiques mourir de faim.
La foule aussi. Moment rare que celui de ces centaines d’individus, qui se hâtaient dans la gueule béante du métro, graves, livides, les yeux cernés de fatigue. La lumière de quelques néons disposés sur des poteaux métalliques ouvragés éclairait faiblement les visages. Ceux-là, ils rentraient. La peur hystérique s’était repliée, mais au fond des cœurs, dans un minuscule recoin de l’inconscient, elle s’était incrustée. Le chancre mou des attentats.
Aucun d’eux ne levait son regard vers le ciel, mauve et lourd. La neige allait retomber. Plus fort qu’aujourd’hui, c’était certain. Moi, j’y étais, au milieu de ces cris du silence. Debout, mal rasé, les cheveux coupés à la va-vite par un coiffeur négligeant. J’avais troqué mon habituelle cigarette contre une petite plaque de métal. Un nom d’ami y était gravé, un ami dont la disparition me resterait pénible de longs mois encore.
Je soupirai, et braquai mon regard vers le ciel. Le curseur digital en forme de cible se centra sur un groupe d’étoiles, les faisant surbriller, avant d’afficher en lettres blanches au contour net « Constellation d’Orion ».
Les étoiles étaient si belles ce soir-là. Au moins me permirent-elles de voir autre chose que la mort et la peur de l’inconnu. Avec elles, j’avais l’impression de redevenir le gamin jouant sous les pluies estivales d’astéroïdes. Au moins, cette beauté-là me faisait croire à quelques restes d’humanité, enfouis dans ma conscience. S’arrêter un instant de penser ordres et contrordres, pleurer un défunt comme un membre de ma famille, sentir le poids de la peine, pour finalement s’émerveiller devant la puissance de cette nature.

Je me retrouvais à l'adresse du quartier général vers vingt-et-une heures. Le temps avait fortement fraîchi, je me pelotonnais doucement dans les replis duveteux du manteau. Je vérifiais l'adresse une dernière fois, tirant quelques mots de mes bases de données. Oui, c'était bien ici. Je restais un peu surpris, étonné par l'ambiance fade de l'immeuble. Du blanc, du propre, du poli. Tout cela m'éloignait des cris, du sang de la bataille de la matinée, des rires gras, des blagues lourdes, des souvenirs uniques. Tout apparaissait comme mesuré, à commencer par cette façade.
Monochrome habile, cinq étages rythmés par dix fenêtres, et un rez-de-chaussée divisé entre une vitrine abandonnée et une lourde porte blindée. J'avais tendu mon attention vers celle-ci, me dirigeant d'un pas nonchalant. Elle s'était ouverte seule, tandis que dans le corridor sombre qui me faisait face, la lueur tiède de l’œil d'une caméra me scrutait sans sentiments. Je tentais de l'ignorer, mais je n'y parvenais pas. Me sentir observé m'avait toujours dérangé. Même en pleine guerre, alors que les dispositifs de sécurités et d'observations protégeaient les militaires d'attaques suicides, je me trouvais mal à l'aise face à l'une de ces vigies électroniques. Peut-être me rappelaient-elles que je n'étais plus juste un homme. Qu'une de ces lentilles avait remplacé la pulpe transparente de mon œil gauche, et que, comme elle, j'observais le monde sans défiance. A la place, la méfiance avait grignoté la douceur du passé, l'innocence s'était retrouvée mise au placard, pour un temps au moins. Je l'espérais encore à cet instant.
Mais comme un mauvais signe, la porte claqua sur mes pas. Dans la pénombre soudaine, rappel glaçant à une réalité détestable, je percevais la trace d'un souvenir triste et commun. Je me forçai à ne pas le revoir.
Un bruit de pas descendit en rythme les marches. Je me tenais sur mes gardes, lorsque la lumière d'une torche dans sur le plafond.
— Il y a quelqu’un ? demanda une voix hésitante.
— Je suis le major Dernaz, articulai-je distinctement.
— Major Dernaz ?
— Oui, c'est moi. En revanche, si vous pouviez baisser cette torche de mon visage, c'est assez désagréable...
Son visage se dégageait de la pénombre comme le masque d'un fantôme. Une barbe négligée dévorait ses joues, ses yeux bleus ressortaient dans la nuit avec un contraste saisissant.
— Major Derbier, répondit-t-il. Excusez-moi de cet accueil major, mais personne ne vous attendait si tôt dans la soirée.
— Ne vous excusez pas, c'est uniquement de ma faute. J'aurais dû prévenir un peu plus longtemps à l'avance.
— Ne nous arrêtons pas à ce genre de considérations. Si nous montions, à la place ? Je suis sûr que vous avez eu une journée très éprouvante.
J'opinai du chef. Je remarquai alors qu'il me dévisageait avec un mélange d'effroi et de curiosité. Il sembla détourner son regard avec une maladresse certaine.
— Je n'avais jamais vu de cyborg de mes yeux avant, Dernaz, se justifia-t-il. Si je vous ai dérangé, dites-le-moi.
— Non, non, lui répondis-je avec un sourire fatigué. Et pour le moment, c'est d'un peu de repos dont j'ai besoin, major.
Il ouvrit la bouche, se ravisa, passa une main sur sa joue, et reprit
— Je comprends, oui. Je vais vous montrer votre chambre dans ce cas. Cependant, je ne pourrais pas vous laisser avant de vous avoir informer un minimum.
— C'est tout naturel.
Il fit demi-tour, je le suivais sans joie.

Dans la cage d'escalier, alors que je notai les tressautements frénétiques des néons qui animaient la structure, Derbier commença à m'apparaître plus clairement. Dans sa démarche, le poids du quotidien appuyait sur ses épaules, le voûtant prématurément. Détail d'autant plus frappant, alors qu'il avait entre trente et trente-cinq ans, une jeunesse toute relative que semblait compenser son grade. Ça, et l'assurance des propos que nous échangèrent dans cette ascension me donnèrent un aperçu sur le gouffre vertigineux de sa personnalité. La façade d'amabilité dissimulait à merveille la carrure froide d'un calculateur carriériste. Un monstre trop poli pour être inoffensif. J'apprenais très vite à m'en méfier.
— Major Dernaz, vous sortez de vos classes ?
— Non, absolument pas. Jusqu'à dix heures ce matin, j’étais sergent, sur le secteur dix-sept.
Il s'arrêta, porta son regard sur moi.
— Promotion éclair. Et impressionnante. Mes compliments, major.
— Merci.
— Je suis désolé de devoir revenir à des notions plus pragmatiques, mais savez-vous en quoi consiste votre tâche aussi ?
Je me remémorais rapidement les quelques dossiers que j'avais reçus au quartier général de l'ancien Hôtel de Ville de Paris.
— Assez vaguement, concédai-je après ce temps de réflexion.
— Voulez-vous que je vous guide un peu ?
— Volontiers, major Derbier.
— Si vous permettez, nous repasserons par le bureau central… Avec quelques documents, mes paroles prendront peut-être un peu plus de sens.
Je hochais silencieusement la tête.

[NGC]Colas
Niveau 10
09 octobre 2012 à 14:27:32

J'ai lu le premier chapitre. C'est vraiment sympa, même si je suis pas du tout SF. Ce texte m'a l'air doté d'une grosse richesse au niveau général.

Il y a juste un élément qui m'a fait un peu bizarre, car mal adapté. Normalement je n'essaie jamais de corriger un texte aussi avancé (par respect) là c'est différent car c'est pas vraiment subjectif:

"Je souriais. J’allais encore savourer ce délicieux plaisir de racontar. Je buvais déjà sa voix chaude un peu rêche. Ce petit caillou méditerranéen qui lui roulait sur les dents, si discret et si mélodieux.
Un sifflement. Sa tête explosa, dans un horrible bruit de succion. Un regard halluciné, figé, et il s’écroula d’un bloc sur le sol"

Cette partie là est assez maladroite. Quand une situation perilleuse se produit, il faut avant ça, avoir anticipé le danger qui est entrain de s'approcher et qui va conduire au moment fatal. Je ne sais pas exactement combien de mots il y a entre le début du texte et cette partie-là, mais beaucoup. Pendant ce temps, il ne se passe rien de perilleux pour les personages. Ainsi, que d'un coup, on lise "sa tête explosa" ça nous prend par surprise, mais il y a un souci de cohérence. Dans toute forme de divertissement, on est dirigé vers ce qu'il va se passer avant même que cela ne se passe. Il aurait donc fallu que tu evoques quelque chose qui va conduire à ce moment fatal, comme par exemple: "J'avais la drôle impression qu'on était observé, je devais surement me tromper" ensuite tu peux enchainer sur "la blague" puis sur la situation critique, qui passera beaucoup mieux.

Sujet : Alter Ego 2.0
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