Chapitre 116 : Les dernières armes
Le bruit était assourdissant et la douleur insoutenable. Orion était complètement bloqué, se faisait déchiqueter de toutes parts sans vraiment comprendre pourquoi. Il avait envie de hurler, mais dès qu’il ouvrait la bouche il se mettait à suffoquer. Tout semblait trouble autour de lui, mais il parvenait tout de même à voir 64, situé à un mètre à peine de lui, tournoyant à une vitesse folle. Était-ce lui qui provoquait ce phénomène ?
Le combattant n’y croyait pas. Il était si proche du but… Il n’avait rien pu faire : la nouvelle technique du tyran l’avait littéralement bloqué avant même qu’il ne puisse porter le moindre coup. De ce fait, aucun champ de force ne pouvait s’être créé. En ce moment même, Artémis devait probablement être à terre, hurlant à la mort à cause de son sang bouillonnant.
Soudain, le demi-elfe cessa son mouvement infernal. Le leader du S-56 se sentit alors propulsé en arrière. Durant son bref vol, il put voir que les tuyaux fixés au niveau de ses épaules avaient été sectionnés par l’attaque de son adversaire. Jamais une telle chose n’était arrivée auparavant… c’était une véritable catastrophe ! Dans de telles conditions, non seulement il ne pourrait plus générer de champ de force, mais en plus il se viderait peu à peu de son sang par les tuyaux.
Orion tomba sur le dos, incapable de se relever pour l’instant. Il toussota un moment, puis pencha sa tête sur le côté pour vomir. A chaque régurgitation, ses poumons lui faisaient souffrir le martyre. Mais quelque chose n’allait pas : tout ce qui sortait de sa bouche était parfaitement transparent…
« De l’eau ? pensa-t-il, il a fait ça avec seulement… de l’eau ? »
L’humain n’en revenait pas. 64 était bien plus fort encore qu’il ne l’avait imaginé. Au départ, il s’était attendu à quelqu’un se contentant de lancer des sorts dévastateurs en tous sens pour détruire jusqu’au moindre petit osselet de son ennemi. Mais en réalité, le tyran possédait des techniques bien plus réfléchies. Il utilisait son énorme potentiel pour augmenter sa force, sa vitesse ou même sa défense, il employait des sorts au corps à corps et à distance dans le seul et unique but de se créer des ouvertures pour ensuite infliger de lourds dommages. Et lorsqu’on était sur le point de l’atteindre directement, il se créait une défense impénétrable qui retournait complètement la situation.
Le chef rebelle ne pouvait plus créer de bouclier, il se vidait de son sang. Il était blessé, épuisé, démoralisé. Et pour couronner le tout, son adversaire était intouchable en plus de posséder une incroyable capacité de régénération. Jamais il ne pourrait gagner dans ces conditions. Si seulement Artémis n’était pas aussi limitée par les incessantes morts du phénix auquel elle était liée…
« Artémis ! » pensa-t-il en se mettant en position assise.
Il jeta des regards frénétiques partout dans la salle jusqu’à trouver sa fiancée. Celle-ci se trouvait à l’autre bout de la pièce, à terre. Le souffle court, elle tourna son regard vers Orion, puis le porta à nouveau en direction de la cage où se trouvait le phénix.
C’est alors que le chef rebelle réalisa quelque chose d’anormal : la cage avait été détruite. Apparemment, le dragon avait mis tellement de force dans son geste qu’il avait accidentellement libéré le phénix en rabattant ses griffes sur l’oiseau. Mais quelque chose n’allait pas… Si l’animal n’était plus dans sa cage, où était-il ? Sa renaissance devait avoir eu lieu depuis trop peu de temps, il était impossible qu’il se soit déjà envolé. Il ne devait même pas être encore doté de plumes. De plus, un autre détail intriguait Orion : si le phénix avait été tué, où étaient les cendres ? Il n’y avait aucune trace des cendres de sa dernière mort, ni même des précédentes d’ailleurs. Que se passait-il ?
Encore trop épuisé pour se relever tout de suite, le combattant regarda à nouveau sa compagne. Il se rendit alors compte que ce n’étaient pas les restes de la cage qu’elle fixait avec tant d’insistance, mais quelque chose d’autre. Quelque chose qui se trouvait juste à côté : le dragon.
Pensant alors comprendre ce qu’il s’était passé pendant qu’il était bloqué par l’attaque de 64, Orion sentit ses entrailles se contracter. Se pouvait-il que…
« Sais-tu pourquoi les phénix se font si rares malgré leur immortalité ? » questionna calmement le demi-elfe en s’approchant.
Le leader du S-56 ne répondit pas. Il n’avait pas la réponse à cette question. Mais il se doutait bien que le simple fait que le tyran évoque ce sujet n’annonçait rien de bon. Allait-il confirmer ses craintes ?
« Premièrement parce qu’ils ne se reproduisent que très rarement, continua le maître du monde, si mes souvenirs sont exacts ils ne le font que lors des éclipses solaires. Mais ce simple détail ne suffit pas à expliquer le fait que leur population soit décroissante. Normalement, des êtres éternels ne peuvent pas diminuer en nombre, ce qui nous amène au deuxième point : les phénix ne sont pas éternels. »
64 s’accroupit pour rapprocher son visage de celui d’Orion. Cependant, il fut suffisamment prudent pour garder ses griffes sorties, bien que l’humain ne fût pas en mesure de faire quoi que ce soit. Il avait également laissé apparaître quelques écailles noirâtres sur son cou.
« Vois-tu, expliqua-t-il, les phénix possèdent la faculté de renaître de leurs cendres. L’avantage de ce procédé est qu’il est à priori impossible de les détruire puisque leurs corps se consument dès leur mort. On a même recensé des cas de combustions sous-marines lors de noyades. De plus, leurs cendres sont assez compactes pour ne pas être emportées par le vent. De cette façon, ils en ont toujours en quantité suffisante à disposition au moment de renaître.
Cependant, s’il n’y a pas suffisamment de cendres pour permettre leur résurrection, alors ils ne renaissent pas, ce qui met définitivement fin à leurs jours. C’est pour ça que si un phénix meurt en étant trop jeune, alors son corps ne produira pas assez de cendres au moment de sa combustion, et il ne pourra pas revenir à la vie, sauf s’il y a d’autres cendres autour. Dans le cas présent, la quantité ne posait aucun problème puisque votre « ami » utilisait les cendres de ses précédents décès pour assurer sa survie. »
Orion sentait son cœur accélérer ses battements. Plus 64 avançait dans ses explications, plus il en redoutait la suite.
« Il faut que je me calme, se força-t-il à penser, plus mon rythme cardiaque sera élevé et plus vite je me viderai de mon sang. »
« Mais il existe un autre moyen de se débarrasser d’un phénix, reprit le tyran, et le secret se situe encore au niveau des cendres : il suffit de les détruire. »
En entendant ces mots, le combattant porta à nouveau son regard vers l’énorme dragon qui se trouvait à quelques mètres à peine.
« Oui… tu as deviné, lui souffla le demi-elfe avec satisfaction, les dragons se nourrissent justement de cendres. Ce sont les seules créatures à pouvoir les digérer sans le moindre problème. Seulement, la quantité de mana contenue dans les restes de phénix est telle que seuls les mâles peuvent s’en nourrir sans être détruits de l’intérieur. Tu comprends maintenant pourquoi c’est un mâle que j’ai choisi pour servir de monture à ma femme… »
Orion se mordit discrètement la lèvre pour essayer de ne pas se laisser emporter par la colère. Il devait absolument rester le plus calme possible, sinon il se condamnait à mort.
Ainsi, les dirigeants de Fléau avaient vraiment tout prévu. La diversion pour se débarrasser de la bombe, le moyen de percer la défense d’Orion, la mort définitive du phénix pour rendre Artémis vulnérable… rien n’avait été laissé au hasard.
Une vampire affamée et affaiblie par de multiples séances de torture accompagnée d’un simple humain blessé, épuisé et forcé de rester calme pour retarder l’heure de sa mort. Et en face, une archère maniant les ténèbres à la perfection et un être surhumain capable de commander aux dragons, de se régénérer et de balayer une ville d’un simple sort. Quelle que soit la façon dont il regardait les choses, le rebelle ne parvenait pas à se voir vainqueur. Bon sang, mais que faisait-il ici ? Pourquoi avait-il accepté ce suicide ?
Alors que 64 s’éloignait tranquillement pour retourner aux côtés du dragon et de sa compagne, Orion sentit une main se poser sur son torse. C’était Artémis, elle avait rampé sur une dizaine de mètres pour arriver jusqu’à lui. Avait-elle une idée en tête, ou voulait-elle simplement être aux côtés de celui qu’elle aimait lors de ses derniers instants ?
« Je ne pensais pas devoir faire ça un jour, murmura-t-elle, mais vu la situation… disons que ce sera le baiser de la dernière chance. »
Sur ces mots, elle posa ses lèvres sur celles d’Orion. Le combattant n’en revenait pas, jamais elle ne l’avait embrassé comme ça. Tout indiquait que c’était bel et bien la fin, même le comportement de sa fiancée.
« On ne devrait pas en finir maintenant ? demanda Philis avec un léger sourire, avant qu’ils ne deviennent indécents.
- Laisse-les encore un peu, répondit 64 qui tournait le dos à la scène, ils en auraient probablement fait de même pour nous.
- … Tu as raison, acquiesça l’ange après un moment d’hésitation, au pire nous les tueront lorsqu’ils tenteront de revenir à la charge. Vu leur état, ça ne sera pas bien diffici... »
Mais elle ne termina pas sa phrase, soudain interrompue par un effroyable hurlement. Intrigués par ces cris, les dirigeants de Fléau regardèrent en direction de leurs adversaires.
Orion souffrait le martyre. Ses muscles se contractaient au point d’en devenir aussi durs que de la pierre, son cerveau lui donnait l’impression d’avoir été mis dans un étau qui se resserrait de plus en plus. Son sang semblait se geler, puis bouillonner, pour se geler à nouveau. Le combattant ne savait même pas comment il trouvait la force de hurler avec ce qu’il était en train de subir. Il avait l’impression que son cœur s’était arrêté. Plus rien n’existait pour lui, à part cette douleur insoutenable. Il ne désirait plus qu’une chose désormais : mourir, mourir pour que ses souffrances trouvent un terme. Mais peut-être était-il justement en train de perdre la vie…
Brusquement, tout cessa, la douleur comme les cris. Puis un silence pesant s’installa dans la pièce. Artémis, qui était restée penchée au dessus de son fiancé, s’écarta légèrement avant de se relever, un sourire aux lèvres. 64 remarqua alors qu’elle avait du sang autour de la bouche, probablement celui d’Orion, puisque ce dernier s’était mordu la lèvre peu avant.
Soudain, le demi-elfe sembla réaliser quelque chose de particulièrement important.
« Philis, toi qui a regardé la scène, est-ce qu’elle s’est mordue la lèvre avant de l’embrasser ? demanda-t-il.
- Pardon ? s’étonna l’archère qui ne comprenait pas pourquoi son mari lui posait une telle question.
- Je te demande si elle s’est mordue la lèvre ou la langue avant de l’embrasser ! répéta précipitamment le demi-elfe.
- Je… je n’en sais rien, avoua l’ange, je n’ai pas vraiment fait attention.
- Essaye de te souvenir, insista le tyran en saisissant sa femme par les épaules, est-ce qu’elle était blessée au niveau de la bouche ? Est-ce qu’elle saignait ?
- M… mais pourquoi tu me demandes ç…, bégaya Philis.
- Est-ce qu’il a bu de son sang ?! » hurla brusquement 64.
Le visage du tyran s’était entièrement couvert d’écailles au moment où il avait prononcé ces mots. Sa femme parut à la fois effrayée et choquée de le voir s’adresser à elle avec autant de violence. A tel point qu’elle resta bouche bée, essayant d’articuler une réponse sans pour autant arriver à faire sortir le moindre son de sa bouche.
Soudain, un bruit d’impact retentit dans la pièce. 64 sembla alors comme paralysé, n’osant plus lâcher Philis du regard. Lentement, les écailles qui couvraient son visage disparurent pour laisser place à de la peau humaine. Puis, les pupilles de ses yeux se dilatèrent jusqu’à reprendre une forme normale, juste avant que la couleur rouge ne disparaisse de son regard.
Après un bref moment d’hésitation, le demi-elfe se décida alors à regarder à nouveau en direction d’Orion.
Ce dernier était toujours allongé, son bras droit étrangement tendu sur le côté, la paume de sa main face au sol, dont la surface était désormais craquelée. Visiblement, le bruit d’impact entendu plus tôt était celui du bras du combattant heurtant le sol avec une violence rare.
L’humain plia alors le bras et prit appui dessus pour se relever. L’homme se leva tout en prenant son temps, comme s’il économisait son énergie pour la suite des évènements. Une fois debout, il resta immobile quelques secondes, les bras ballotant au même rythme que ses tuyaux sectionnés. A aucun moment il n’avait levé les yeux vers 64, prenant soin de toujours fixer le sol, soucieux de cacher la majeure partie de son visage. Mais Le demi-elfe n’avait pas besoin de voir le visage de son adversaire pour savoir ce qu’il s’était passé…
Du sang continuait de s’écouler depuis les tuyaux qui pendaient le long des bras d’Orion, mais ce dernier ne semblait plus s’en soucier désormais. En voyant l’étrange attitude qu’avait subitement adoptée le combattant, ainsi que l’étrange sourire sur le visage de la vampire, Philis se sentit particulièrement mal à l’aise. Et l’inquiétude dans le regard hésitant de 64 ne faisait vraiment rien pour arranger la chose. Que se passait-il à la fin ?
Soudain, l’ange repensa à la question que lui avait posée son mari juste avant. Il avait cherché à savoir si Orion avait bu du sang d’Artémis…
L’archère écarquilla des yeux en réalisant ce qui avait poussé 64 à poser cette question. Bon sang, mais pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Mais alors, cela voulait dire que…
« Dis, commença Orion chez qui on pouvait sentir la colère monter, tu sais ce qu’on dit d’un vampire qui s’est vidé de son sang ? »
Le tyran ne répondit pas. Il se contenta de serrer les dents derrière son foulard. Visiblement, ce qu’il redoutait s’était produit.
Le chef rebelle se décida enfin à lever la tête pour regarder son ennemi en face, montrant ainsi son visage. Du sang dégoulinait autour de sa bouche, il avait légèrement retroussé ses lèvres pour exhiber son impressionnante dentition, dont les canines s’étaient anormalement rallongées. Il fixait 64 avec une haine manifeste dans le regard. Le demi-elfe put d’ailleurs constater la présence d’une lueur rougeâtre au fin fond de sa rétine. Une lueur grandissante qui s’étendait peu à peu dans ses yeux pour les teindre en rouge.
Il n’y avait plus aucun doute possible désormais : Orion avait bu du sang d’Artémis et s’était transformé. A partir de maintenant, les dirigeants de Fléau n’avaient plus qu’un seul vampire à affronter, mais deux.
« On dit qu’il a les crocs ! » ajouta l’ex-humain avec colère.