Chapitre 4
-Et bien, on peut dire que tu restes le maître pour l'instant, fit Dakin en adressant un sourire à son adversaire, qui lui tendait la main.
-Tu n'as pas été trop mauvais non plus, je dois bien avoir un ou deux bleus et j'aurais droit à des courbatures dans les prochains jours.
-Ha ! Va donc dire ça à mes pauvres côtes. Je crois que certaines sont fêlées, voire cassées... Le petit devrait bientôt revenir m'apporter un truc.
-Tu t'es sacrément enrichi ces dernières années, dis moi, fit le rougegarde en observant l'armurerie. J'ignorais que les maîtres étaient si généreux.
-Ce n'est pas d'eux que je tiens cet endroit.
-Alors... qui ? Tu avais des contacts à Refuge ? À moins que cet palais ne soit la demeure de l'ancien roi de Morneheaume... Non, ne me dit pas que...
-C'est bien ce à quoi tu penses. Cet endroit est Sa dernière demeure mortelle.
-Je... Je ne pensais pas vraiment qu'il avait un jour vécu parmi les hommes... Mais si tu as trouvé cet endroit, c'est que tu disais vrai. Toutes tes recherches, durant toutes ces années, n'ont pas été vaines. Il faut croire que Tiber Septim a un tour de retard !
-Il y a cependant un problème. Le temple n'est pas ici...
-Vraiment ?! Dans ce cas... Ca devient mauvais, fit Aris, dont le regard s'assombrit. Le jour de la prière approche. Si nous n'accomplissons pas le rituel tous les dix-sept ans, Il va...
-Je sais parfaitement ce qui se passera dans ce cas là, répondit le dunmer, agacé. mais j'ai un moyen de retrouver l'endroit où il se situe. Je te dirai tout ca dans un moment. Mais qu'est ce qu'il fiche, l'autre ? Mes côtes ne vont pas guérir toutes seules !
En montant les escaliers, Neloth ne pouvait s'empêcher de trembler. Il avait assisté au combat hors du commun qui s'était déroulé dans l'armurerie, caché à l'étage, derrière une colonne, observant ahurit les lames des deux hommes s'entrechoquer à une vitesse irréelle pendant de longues minutes, sans que l'un des deux ne brise son assaut ni ne montre de signe de faiblesse. «Ainsi, ils se connaissent, chuchota il pour lui-même. Mais qui est ce rougegarde ? Et surtout, comment a t-il pu vaincre Dakin aussi... magistralement ?!»
Mais trêve de bavardages. En arrivant au troisième, il saisit une potion posée sur une table, d'un geste vif. Le bois commençait à pourrir, et la peinture à s'écailler. «Il faudrait la changer» songea t-il, avant de se rappeler qu'il s'agissait du dernier souvenir qu'il tenait de ses parents. Il lui fallait se hâter pour éviter que les blessures de Dakin s'aggravent, mais il s'arrêta tout de même pour reprendre son souffle et son calme.
Il se trouvait au dernier étage du palais, dans un donjon aux murs craquelés percé de fenêtres lui conférant une vue imprenable sur la ville. Au loin, on pouvait même, en plissant les yeux, apercevoir les dunes du désert Alik'r. Grâce à un sortilège puissant, le bâtiment entier était invisible à la populace, il fallait pour y accéder faire un trajet bien particulier, que seul les deux dunmers connaissaient. Ils avaient mit du temps à trouver cet endroit. Pendant des mois, son cousin était resté enfermé dans sa chambre, dans l'auberge, se nourrissant à peine et perdant du poids à vue d'oeil, tentant de décrypter un message caché dans un livre religieux. Puis, un matin, alors que Neloth était dans l'incapacité même de savoir si Dakin était en vie, n'ayant entendu aucun bruit depuis une semaine, il entendit un rugissement de joie. Moins d'une seconde plus tard, il avait vu un dunmer famélique, qu'il ne reconnut pas tout de suite, rentrer en trombe dans sa chambre et lui annoncer : «On part pour Sentinelle. Maintenant, inutile de discuter. Je l'ai enfin trouvé».
Quittant les chambres qu'ils louaient depuis plusieurs mois grâce à l'argent que Neloth gagnait en détroussant les familles nobles de la cité impériale, au péril de sa vie, ils se mirent en route. Le chemin était semé d'embuches, mais Dakin avait repoussé toutes les créatures sans ciller, et sans faillir, malgré le fait qu'il n'était plus que l'ombre de lui même à l'époque. Même s'il avait, depuis leur arrivée, un mois auparavant, récupéré du poil de la bête, il était encore loin d'être en possession de ses pleins moyens. Non, aucun doute, ce rougegarde étrange n'aurait pas fait le poids s'il était arrivé un an plus tôt. Du moins, il l'espérait.
En se rappelant de sa mission, il fit le chemin du retour à toute vitesse, si bien qu'il trébucha et poursuit la descente plus rapidement qu'il ne l'aurait souhaité, pour atterrir au pied des marches, cul par dessus tête, sous le regard moqueur d'Aris :
-Ton cousin, c'est un sacré numéro, décidément ! Comment peut-il se montrer si intrépide au combat et pourtant incapable de faire face à un escalier !
-Tu sais, je me demande vraiment de qui il tient ca, fit Dakin en grimaçant. Ses parents étaient remarquablement adroits...
-À qui le dis-tu ?! Je me souviens, sa mère a toujours été la plus agile, elle finissait le parcours d'entraînement en tête à chaque fois ! Je l'ai toujours accusé de tricherie, mais la vérité, c'est que je ne pouvais pas me contenter d'être deuxième. Elle était... au dessus de nous.
Ébahi, Neloth se remit sur pied et s'épousseta. Il tendit la potion, qui ne s'était heureusement pas brisée, à Dakin, qui lui répondit par un sourire :
-Bien, je pense que nous te devons des explications...
-En effet, fit simplement le jeune dunmer, en jetant un regard inquisiteur au rougegarde.
-Et bien, je vais commencer par me présenter, répondit ce dernier. Je m'appelle Aris, et je suis un ancien camarade de ton cousin. Comme tu peut t'en douter, nous nous sommes rencontré à l'école milit...
-Aaaaaah !fit soudainement Dakin avec un soupir de satisfaction. À défaut d'avoir bon goût, cette potion est des plus efficaces. Je me sent jeune de nouveau ! Je pourrais presque prendre une seconde revanche ! Non, oublie ce que je viens de dire !!!
-Et bien, la trentaine ne te réussit pas décidément... , répliqua Aris sans se départir de son sourire.
-Bon, fit Neloth en fixant intensément son cousin. Je pense qu'il est temps d'éclaircir quelques choses. Qui est-il ? Pourquoi ne pas m'avoir prévenu à propos de cette école ? Et qu'est-ce que mes parents ont à voir avec tout ca ? Je pensais qu'il s'agissait de marchands itinérants ! Et comment se fait-il que tu sois arrivé pour t'occuper de moi moins de trois jours après leur disparition !? Qu'est ce que tu me caches d'autre ?!
Aris pouvait aisément ressentir la colère dans la voix du jeune dunmer. Et comment lui en vouloir ? Élevé par son cousin, il n'avait probablement jamais entendu parler ni de l'école militaire, ni de l'Ordre. Il se demandait pour quelle raison Dakin avait gardé le secret. Peut-être était-ce en rapport avec les assassins qu'ils avaient affronté en arrivant en ville...
-Pardonne-moi, Neloth, fit le dunmer. Je te cache beaucoup de choses depuis plusieurs années déjà. Je tiens juste à ce que tu saches que je m'apprêtais à t'en parler de toute façon. Et bien... par où commencer ? fit-il avec un sourire gêné. Tes parents ont été formé à l'art de la guerre, dans l'école militaire de Yokuda.
-Yokuda ?! Mais ce n'est qu'une légende ! Des raz-de-marée gigantesques ont submergé le continent, il est invivable désormais !
-Oh, crois moi, c'est tout sauf une invention, ricana Aris. Même si c'est loin d'être un endroit accueillant, il est tout à fait possible d'y vivre. Le niveau de l'eau commence même à baisser, il n'a jamais été si bas depuis la première ère !
-Ils comptaient parmi les membres plus talentueux de l'école, poursuivit Dakin. Reconnus par les maîtres de l'Ordre comme des «agents irremplaçables», ils étaient capables de vaincre à eux seuls un régiment akavirois entier avant de succomber. Ils sont également ceux qui nous ont sauvé, Aris, moi et quelques autres.
-Sauvé ? Qu'est ce que tu veut dire par là ?
-Et bien, pour faire simple, le conflit de Bordeciel n'est pas la seule guerre civile que le siècle a connu. Il y a 15 ans, les tensions entre le Thalmor et l'Empire ont prit des proportions insoupçonnées.
Les habitants de Lenclume ayant repoussé le domaine Aldmeri, et sans l'aide des autres provinces, l'image de l'Empire était plus ternie que jamais. C'est le moment que choisit le Thalmor pour faire sombrer Hauteroche dans le chaos. On ne sait toujours pas comment, mais les elfes ont semé les graines de la révolte à partir des villes et villages du Nord, dont la population, plus pauvre, et encore légèrement hostile à l'Empire, était exclue des hautes fonctions.
-Il suffisait de rééquilibrer le système au début de la révolte pour éviter les problèmes, fit Neloth, sceptique.
-Tu t'imagines bien que le Thalmor est plus futé que ça, rétorqua le dunmer. Ils engagèrent de nombreux espion, mercenaires, agents et autres, afin de perturber les hautes sphères de la société. Meurtre, falsification des votes, intimidations, pot-de-vins, les villes dominantes, Morneheaume, Abondance, ainsi que la cour de Daguefilante se sont trouvées corrompues en un rien de temps.
Engageant leurs puissants mages de guerre pour mater la rébellion, le gouvernement, mené par un haut roi sénile et manipulé, a fait sombrer le pays dans la folie en quelques semaines. Même la ville de Refuge, connue pour être sans histoires, fut en proie aux sièges et aux massacres.
-Qu'est ce que ça a à voir avec vous ?
-Et bien, c'est la que débute notre histoire, lui fit Aris, un sourire énigmatique sur les lèvres.