Quelques réflexions philosophiques sur la domination et la soumission dans le bdsm. (le genre des agents de la domination et de la soumission sont écrits de mon point de vue (il y un dominant et une soumise), mais la domination n’est pas intrinsèquement masculine et la soumission, féminine).
La domination et la soumission, tels que l’entend la relation bdsm, participent de la jouissance des agents, mais seulement puisque le bdsm suspend et désactive les rapports de pouvoir et la moralité conventionnelle. Alors que la fessée des parents humilie, celle du dominant mène à l’extase. Alors que le dirty talk du patron effraie, les « Chienne », « Petite garce », « Sac à foutre » et autre « Pute, tu es vraiment à ton meilleur lorsque tu t’agenouilles avec ma queue entre les lèvres » enivrent. Alors que les coups de l’abuseur traumatisent, les claques au visage de la soumise par le maitre mènent à l’orgasme tandis qu’il la possède. La désactivation du caractère malsain des relations de pouvoir s’effectue donc dans la jeu bdsm dans le but de les conserver dans leur charge érotique. Le bdsm, et la sexualité en général, loin d’être naturels, sont constamment ce genre d’opération de désactivation.
Une relation bdsm bien comprise est une relation féministe.
Ce n’est qu’en tant que le dominant se soumet au désir de sa soumise, même lorsqu’il lui crache au visage, qu’il peut être dominant, et pas despote. Le dominant, en effet, n’est pas le maitre tout puissant, le métamaitre, il n’est que le maitre, car le dominant en réalité obéit aux désirs et aux limites de la soumise. En ce sens, le dominant est la chose ou le jouet sexuel de la soumise : il est l’objet matériel qui met en œuvre ses désirs, il est l’acteur qui produit la pièce imaginaire et jamais totalement énoncée par la soumise, il est celui qui transforme la soumise en beauté : corsages, tenues de cuir, shibari, douce musique des cris et gémissements que peu de chanteuses peuvent se vanter de réussir à pousser. Il est le maitre d’œuvre de la soumise et vise à la mener à son orgasme habituel, tout comme le professeur ne vise pas essentiellement sa propre élévation intellectuelle mais celle de ses étudiants. En devenant l’objet de la soumise, en perdant son statut de sujet, il gagne cependant quelque chose : il atteint au statut d’innocence de celui qui fait tout au nom d’un autre. Le danger des relations de pouvoir est en effet plus ou moins conscient chez tous les humains, et l’empathie parvient à atténuer les risques d’un ascendant hiérarchique. Le pouvoir est ainsi continuellement réprimé, ne serait-ce que parce que l’autre s’oppose et en souffre. Dans la relation bdsm cependant, la soumise consent préalablement à ce qui aura lieu, et donc le dominant peut se laisser aller, peut arrêter d’être réprimé par la moralité et le danger. En devenant objet de la soumise, comme un dildo animé, il perd la conscience de sujet et atteint l’innocence. La soumise, du même coup, atteint à la jouissance en se laissant aller aux désirs du dominant. Elle se laisse faire. Dans ce laisser-faire, elle se délaisse du contrôle, du stress de tout devoir considérer, tout contrôler. Au contraire, par ce consentement généralisé, le dominant développe la capacité d’acquérir une dose de contrôle. La soumise donc en se laissant aller profite, elle se fait faire la jouissance qu’elle n’ose pas mettre en œuvre, elle s’extrait de la moralité en n’étant pas l’agent empiriquement actif. Elle se fait faire ce qu’elle désire, mais n’étant pas le sujet empirique de ce qui lui arrive, elle atteint également à l’innocence. Cependant, en réalité, c’est la soumise qui tient les règles et les établie. En devenant l’objet sur lequel le dominant matérialise la coïncidence de leurs désirs, elle acquiert paradoxalement le méta-statut de dominante. « Diaboliques, en toute innocence ». Innocents, car objets empiriques pour les deux, innocents, car passifs empiriquement pour l’une et transcendantalement pour l’autre, jouissifs, car sujets empiriques pour l’un et transcendantalement pour l’autre, jouissifs, car actifs empiriquement pour l’un et transcendantalement pour l’autre.
Outrepasser le consentement, bien que ses limites relatives peuvent être explorées par le dominant, tout comme un professeur pourrait aller un peu plus loin que ne peuvent comprendre ses étudiants en restant à l’affut de leurs réactions, confine cependant le dominant à l’abus et à la barbarie. Autrement dit, rompre le désoeuvrement en cours en outrepassant le consentement donné remet en oeuvre le pouvoir, condition habituelle de nos vies.
Le dominant est donc dominant en tant qu’il est l’être actif empiriquement, il fait tout à la soumise et lui adjoint des tâches, il matérialise la coïncidence de leurs désirs; cependant il est l’objet passif de la soumise qui se sert de lui pour atteindre la jouissance et est donc son soumis transcendantal. À l’inverse, en tant qu’elle est l’objet du dominant qui lui fait la coïncidence de leurs désirs, la soumise est passive, cependant en tant qu’elle est la condition de possibilité de la désactivation des rapports de pouvoir puisque son consentement déclenche l’innocence du bdsm et qu’elle emploie comme objet sexuel le dominant, c’est en réalité elle qui domine la relation. Le dominant domine empiriquement mais est structurellement soumis, la soumise est soumise empiriquement mais est structurellement ou transcendalement dominante. Les relations bdsm « switch » fluidifie cette prise de contrôle et de soumission en donnant tant au dominant qu’à la soumise la possibilité de devenir le dominant soumis ou la soumise dominante.